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ACTE V, SCÈNE X.


Rentrez, trop de douleur de votre âme s’empare ;
Souffrez que Nérestan…

nérestan.

Qu’ordonnes-tu, barbare ?

Orosmane, après une longue pause.

Qu’on détache ses fers. Écoutez, Corasmin,
Que tous ses compagnons soient délivrés soudain.
Aux malheureux chrétiens prodiguez mes largesses ;
Comblés de mes bienfaits, chargés de mes richesses.
Jusqu’au port de.Joppé vous conduirez leurs pas.

corasmin.

Mais, seigneur...

orosmane.

Obéis, et ne réplique pas ;
Vole, et ne trahis point la volonté suprême
D’un soudan qui commande, et d’un ami qui t’aime ;
Va, ne perds point de temps, sors, obéis…
(À Nérestan. )
Et toi,
Guerrier infortuné, mais moins encor que moi,
Quitte ces lieux sanglants ; remporte en ta patrie
Cet objet que ma rage a privé de la vie.
Ton roi, tous tes chrétiens, apprenant tes malheurs,
N’en parleront jamais sans répandre des pleurs.
Mais si la vérité par toi se fait connaître,
En détestant mon crime, on me plaindra peut-être.
Porte aux tiens ce poignard, que mon bras égaré
A plongé dans un sein qui dut m’être sacré ;
Dis-leur que j’ai donné la mort la plus affreuse
À la plus digne femme, à la plus vertueuse,
Dont le ciel ait formé les innocents appas :
Dis-leur qu’à ses genoux j’avais mis mes États ;
Dis-leur que dans son sang cette main s’est plongée ;
Dis que je l’adorais, et que je l’ai vengée[1].
(Il se tue.)
(Aux siens.)
Respectez ce héros, et conduisez ses pas[2].

  1. Comparez Shakespeare.
  2. Zaïre fut traduite en italien par Gozzi, qui amplifia au dénoûment : « Après qu’Orosmane s’est frappé, dit Lessing, Voltaire lui fait dire encore quelques mots pour nous rassurer sur le sort de Nérestan. Qu’imagine Gozzi ? L’Italien, trouvant sans doute trop froid de faire mourir un Turc aussi tranquillement, met dans la