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ACTE I, SCÈNE III.

Il faut qu’on le connaisse, il faut qu’on le punisse.
Peuple, votre salut dépend de son supplice. »

Œdipe.

Thébains, je l’avouerai, vous souffrez justement
D’un crime inexcusable un rude châtiment.
Laïus vous était cher, et votre négligence
De ses mânes sacrés a trahi la vengeance.
Tel est souvent le sort des plus justes des rois[1] !
Tant qu’ils sont sur la terre on respecte leurs lois,
On porte jusqu’aux cieux leur justice suprême ;
Adorés de leur peuple, ils sont des dieux eux-mêmes ;
Mais après leur trépas que sont-ils à vos yeux ?
Vous éteignez l’encens que vous brûliez pour eux ;
Et, comme à l’intérêt l’âme humaine est liée,
La vertu qui n’est plus est bientôt oubliée.
Ainsi du ciel vengeur implorant le courroux,
Le sang de votre roi s’élève contre vous.
Apaisons son murmure, et qu’au lieu d’hécatombe
Le sang du meurtrier soit versé sur sa tombe.
À chercher le coupable appliquons tous nos soins.
Quoi ! De la mort du roi n’a-t-on pas de témoins ?
Et n’a-t-on jamais pu, parmi tant de prodiges,
De ce crime impuni retrouver les vestiges ?
On m’avait toujours dit que ce fut un Thébain
Qui leva sur son prince une coupable main.

(À Jocaste.)

Pour moi qui, de vos mains recevant sa couronne,
Deux ans après sa mort ai monté sur son trône,
Madame, jusqu’ici, respectant vos douleurs,
Je n’ai point rappelé le sujet de vos pleurs ;
Et, de vos seuls périls chaque jour alarmée,
Mon âme à d’autres soins semblait être fermée.

Jocaste.

Seigneur, quand le destin, me réservant à vous,
Par un coup imprévu m’enleva mon époux,
Lorsque, de ses états parcourant les frontières,
Ce héros succomba sous des mains meurtrières,
Phorbas en ce voyage était seul avec lui ;
Phorbas était du roi le conseil et l’appui :

  1. Aux premières représentations, on appliqua ces vers à Louis XIV, dont la mémoire avait été outragée par les Parisiens, mais que déjà ils commençaient à regretter. (K.)