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MOÏSE.

de Dan n’avait pas encore donné son nom à ce pays, dont elle n’était pas la maîtresse.

2° Comment Moïse aurait-il cité le livre des guerres du Seigneur, quand ces guerres et ce livre lui sont postérieurs?

3° Comment Moïse aurait-il parlé de la défaite prétendue d’un géant nommé Og, roi de Basan, vaincu dans le désert la dernière année de son gouvernement ? Et comment aurait-il ajouté qu’on voit encore son lit de fer de neuf coudées dans Rabbath ? Cette ville de Rabbath était la capitale des Ammonites ; les Hébreux n’avaient point encore pénétré dans ce pays : n’est-il pas apparent qu’un tel passage est d’un écrivain postérieur que son inadvertance trahit ? Il veut apporter en témoignage de la victoire remportée sur un géant le lit qu’on disait être encore à Rabbath, et il oublie qu’il fait parler Moïse.

4° Comment Moïse aurait-il appelé villes au delà du Jourdain les villes qui, à son égard, étaient en deçà ? N’est-il pas palpable que le livre qu’on lui attribue fut écrit longtemps après que les Israélites eurent passé cette petite rivière du Jourdain, qu’ils ne passèrent jamais sous sa conduite ?

5° Est-il bien vraisemblable que Moïse ait dit à son peuple que, dans la dernière année de son gouvernement, il a pris dans le petit canton d’Argob, pays stérile et affreux de l’Arabie Pétrée, soixante grandes villes entourées de hautes murailles fortifiées, sans compter un nombre infini de villes ouvertes ? N’est-il pas de la plus grande probabilité que ces exagérations furent écrites dans la suite par un homme qui voulait flatter une nation grossière ?

6° Il est encore moins vraisemblable que Moïse ait rapporté les miracles dont cette histoire est remplie.

On peut bien persuader à un peuple heureux et victorieux que Dieu a combattu pour lui ; mais il n’est pas dans la nature humaine qu’un peuple croie avoir vu cent miracles en sa faveur, quand tous ces prodiges n’aboutissent qu’à le faire périr dans un désert. Examinons quelques miracles rapportés dans l’Exode.

7° Il paraît contradictoire et injurieux à l’essence divine que Dieu, s’étant formé un peuple pour être le seul dépositaire de ses lois et pour dominer sur toutes les nations, il envoie un homme de ce peuple demander au roi son oppresseur la permission d’aller sacrifier à son Dieu dans le désert, afin que ce peuple puisse s’enfuir sous le prétexte de ce sacrifice. Nos idées communes ne peuvent qu’attacher une idée de bassesse et de fourberie à ce manége, loin d’y reconnaître la majesté et la puissance de l’Être suprême.