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NÉCESSAIRE.

semblons tous à Ixion ; il croyait embrasser Junon, et il ne jouissait que d’une nuée.

la nature.

Puisque je suis tout ce qui est, comment un être tel que toi, une si petite partie de moi-même pourrait-elle me saisir ? Contentez-vous, atomes mes enfants, de voir quelques atomes qui vous environnent, de boire quelques gouttes de mon lait, de végéter quelques moments sur mon sein, et de mourir sans avoir connu votre mère et votre nourrice.

le philosophe.

Ma chère mère, dis-moi un peu pourquoi tu existes, pourquoi il y a quelque chose.

la nature.

Je te répondrai ce que je réponds depuis tant de siècles à tous ceux qui m’interrogent sur les premiers principes : « Je n’en sais rien. »

le philosophe.

Le néant vaudrait-il mieux que cette multitude d’existences faites pour être continuellement dissoutes, cette foule d’animaux nés et reproduits pour en dévorer d’autres et pour être dévorés, cette foule d’êtres sensibles formés pour tant de sensations douloureuses, cette autre foule d’intelligences qui si rarement entendent raison ? À quoi bon tout cela, nature ?

la nature.

Oh ! va interroger celui qui m’a faite.



NÉCESSAIRE[1].


osmin.

Ne dites-vous pas que tout est nécessaire ?

sélim.

Si tout n’était pas nécessaire, il s’ensuivrait que Dieu aurait fait des choses inutiles.

osmin.

C’est-à-dire qu’il était nécessaire à la nature divine qu’elle fît tout ce qu’elle a fait.

sélim.

Je le crois, ou du moins je le soupçonne. Il y a des gens qui pensent autrement : je ne les entends point ; peut-être ont-ils raison. Je crains la dispute sur cette matière.

  1. Dictionnaire philosophique, 1765. (B.)