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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/138

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NOMBRE.

Quelles propriétés, quelle vertu pourraient avoir dix cailloux, dix arbres, dix idées, seulement en tant qu’ils sont dix ? Quelle supériorité aura un nombre divisible en trois pairs sur un autre divisible en deux pairs ?

Pythagore est le premier qui ait découvert des vertus divines dans les nombres. Je doute qu’il soit le premier : car il avait voyagé en Égypte, à Babylone et dans l’Inde, et il devait en avoir rapporté bien des connaissances et des rêveries. Les Indiens surtout, inventeurs de ce jeu si combiné et si compliqué des échecs, et de ces chiffres si commodes que les Arabes apprirent d’eux, et qui nous ont été communiqués après tant de siècles ; ces Indiens, dis-je, joignaient à leurs sciences d’étranges chimères ; les Chaldéens en avaient encore davantage, et les Égyptiens encore plus. On sait assez que la chimère tient à notre nature. Heureux qui peut s’en préserver ! heureux qui, après avoir eu quelques accès de cette fièvre de l’esprit, peut recouvrer une santé tolérable !

Porphyre, dans la Vie de Pythagore, dit que le nombre 2 est funeste. On pourrait dire que c’est au contraire le plus favorable de tous. Malheur à celui qui est toujours seul ! malheur à la nature, si l’espèce humaine et celle des animaux n’étaient souvent deux à deux !

Si 2 était de mauvais augure, en récompense 3 était admirable, 4 était divin ; mais les pythagoriciens et leurs imitateurs oubliaient alors que ce chiffre mystérieux 4, si divin, était composé de deux fois deux, nombre diabolique. Six avait son mérite, parce que les premiers statuaires avaient partagé leurs figures en six modules : nous avons vu que, selon les Chaldéens, Dieu avait créé le monde en 6 gahambârs. Mais 7 était le nombre le plus merveilleux : car il n’y avait alors que sept planètes ; chaque planète avait son ciel, et cela composait sept cieux, sans qu’on sût ce que voulait dire ce mot de ciel. Toute l’Asie comptait par semaine de sept jours. On distinguait la vie de l’homme en sept âges. Que de raisons en faveur de ce nombre !

Les Juifs ramassèrent avec le temps quelques balayures de cette philosophie. Elle passa chez les premiers chrétiens d’Alexandrie avec les dogmes de Platon. Elle éclata principalement dans l’Apocalypse de Cérinthe, attribuée à Jean le baptiseur.

On en voit un grand exemple dans le nombre de la bête[1].

« On ne peut acheter ni vendre, à moins qu’on n’ait le caractère de la bête, ou son nom, ou son nombre. C’est ici la science.

  1. Apocalypse, chapitre xiii, v. 17 et 18. (Note de Voltaire.)