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POLITIQUE.

garde de ses épouses et de ses maîtresses, Telle a été et telle est encore la politique, le grand art de faire servir les hommes à son bien-être, dans la plus grande partie de l’Asie.

Quelques peuplades ayant ainsi asservi plusieurs autres peuplades, les victorieuses se battent avec le fer pour le partage des dépouilles. Chaque petite nation nourrit et soudoie des soldats. Pour encourager ces soldats et pour les contenir, chacune a ses dieux, ses oracles, ses prédictions ; chacune nourrit et soudoie des devins et des sacrificateurs bouchers. Ces devins commencent par deviner en faveur des chefs de nation, ensuite ils devinent pour eux-mêmes, et partagent le gouvernement. Le plus fort et le plus habile subjugue à la fin les autres après des siècles de carnages qui font frémir, et de friponneries qui font rire : c’est là le complément de la politique.

Pendant que ces scènes de brigandages et de fraudes se passent dans une partie du globe, d’autres peuplades, retirées dans les cavernes des montagnes, ou dans des cantons entourés de marais inaccessibles, ou dans quelques petites contrées habitables au milieu des déserts de sable, ou des presqu’îles, ou des îles, se défendent contre les tyrans du continent. Tous les hommes enfin ayant à peu près les mêmes armes, le sang coule d’un bout du monde à l’autre.

On ne peut pas toujours tuer ; on fait la paix avec son voisin, jusqu’à ce qu’on se croie assez fort pour recommencer la guerre. Ceux qui savent écrire rédigent ces traités de paix. Les chefs de chaque peuple, pour mieux tromper leurs ennemis, attestent les dieux qu’ils se sont faits ; on invente les serments : l’un vous promet au nom de Sammonocodom, l’autre au nom de Jupiter, de vivre toujours avec vous en bonne harmonie ; et à la première occasion ils vous égorgent au nom de Jupiter et de Sammonocodom.

Dans les temps les plus raffinés, le lion d’Ésope fait un traité avec trois animaux ses voisins. Il s’agit de partager une proie en quatre parts égales. Le lion, pour de bonnes raisons qu’il déduira en temps et lieu, prend d’abord trois parts pour lui seul, et menace d’étrangler quiconque osera toucher à la quatrième. C’est là le sublime de la politique.

POLITIQUE DU DEDANS.

Il s’agit d’avoir dans votre pays le plus de pouvoir, le plus d’honneurs et le plus de plaisirs que vous pourrez. Pour y parvenir il faut beaucoup d’argent.