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POLYTHÉISME.

naissaient un être céleste, maître des autres êtres célestes. Ils le disent sans cesse, il faut donc les croire.

Voyez l’admirable lettre du philosophe Maxime de Madaure à saint Augustin[1] ; « Il y a un Dieu sans commencement, père commun de tout, et qui n’a jamais rien engendré de semblable à lui : quel homme est assez stupide et assez grossier pour en douter ? » Ce païen du ive siècle dépose ainsi pour toute l’antiquité.

Si je voulais lever le voile des mystères d’Égypte, je trouverais le Knef, qui a tout produit, et qui préside à toutes les autres divinités ; je trouverais Mithra chez les Perses, Brama chez les Indiens ; et peut-être je ferais voir que toute nation policée admettait un Être suprême avec des divinités dépendantes. Je ne parle pas des Chinois, dont le gouvernement, le plus respectable de tous, n’a jamais reconnu qu’un Dieu unique depuis plus de quatre mille ans. Mais tenons-nous-en aux Grecs et aux Romains, qui sont ici l’objet de mes recherches ; ils eurent mille superstitions : qui en doute ? ils adoptèrent des fables ridicules : on le sait bien, et j’ajoute qu’ils s’en moquaient eux-mêmes ; mais le fond de leur mythologie était très-raisonnable.

Premièrement, que les Grecs aient placé dans le ciel des héros pour prix de leurs vertus, c’est l’acte de religion le plus sage et le plus utile. Quelle plus belle récompense pouvait-on leur donner ? et quelle plus belle espérance pouvait-on proposer ? Est-ce à nous de le trouver mauvais, à nous qui, éclairés par la vérité, avons saintement consacré cet usage que les anciens imaginèrent ? Nous avons cent fois plus de bienheureux, à l’honneur de qui nous avons élevé des temples, que les Grecs et les Romains n’ont eu de héros et de demi-dieux : la différence est qu’ils accordaient l’apothéose aux actions les plus éclatantes, et nous aux vertus les plus modestes. Mais leurs héros divinisés ne partageaient point le trône de Zeus, du Demiourgos, du maître éternel ; ils étaient admis dans sa cour, ils jouissaient de ses faveurs. Qu’y a-t-il à cela de déraisonnable ? N’est-ce pas une ombre faible de notre hiérarchie céleste ? Rien n’est d’une morale plus salutaire, et la chose n’est pas physiquement impossible par elle-même ; il n’y a pas là de quoi se moquer des nations de qui nous tenons notre alphabet.

Le second objet de nos reproches est la multitude des dieux admis au gouvernement du monde : c’est Neptune qui préside à

  1. Voyez tome XVIII, page 361 ; tome XIX, page 414 ; et dans les Mélanges, année 1766, le dialogue intitulé Sophronime et Adélos.