Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
PUISSANCE.

aux plus incrédules ; mais tous les miracles du monde n’effaceront pas sa honte d’avoir été le délateur de l’Encyclopédie...

«[1]Les sujets de l’Église souffrant des vexations souvent tyranniques, auxquelles les fréquents changements de maîtres contribuaient beaucoup, se révoltèrent vers la fin du règne de l’impératrice Élisabeth ; et ils étaient, à mon avénement, plus de cent mille en armes. C’est ce qui fit qu’en 1762 j’exécutai le projet de changer entièrement l’administration des biens du clergé, et de fixer ses revenus. Arsène, évêque de Rostou, s’y opposa, poussé par quelques-uns de ses confrères, qui ne trouvèrent pas à propos de se nommer, il envoya deux mémoires où il voulait établir le principe absurde des deux puissances. Il avait déjà fait cette tentative du temps de l’impératrice Élisabeth : on s’était contenté de lui imposer silence ; mais son insolence et sa folie redoublant, il fut jugé par le métropolitain de Novogorod et par le synode entier, condamné comme fanatique, coupable d’une entreprise contraire à la foi orthodoxe autant qu’au pouvoir souverain, déchu de sa dignité et de la prêtrise, et livré au bras séculier. Je lui fis grâce, et je me contentai de le réduire à la condition de moine. »

Telles sont ses propres paroles ; il en résulte qu’elle sait soutenir l’Église et la contenir ; qu’elle respecte l’humanité autant que la religion ; qu’elle protége le laboureur autant que le prêtre ; que tous les ordres de l’État doivent la bénir.

J’aurai encore l’indiscrétion de transcrire ici un passage d’une de ses lettres (28 novembre 1765) :

« La tolérance est établie chez nous ; elle fait loi de l’État ; il est défendu de persécuter. Nous avons, il est vrai, des fanatiques qui, faute de persécution, se brûlent eux-mêmes ; mais si ceux des autres pays en faisaient autant, il n’y aurait pas grand mal : le monde en serait plus tranquille, et Calas n’aurait pas été roué. »

Ne croyez pas qu’elle écrive ainsi par un enthousiasme passager et vain, qu’on désavoue ensuite dans la pratique, ni même par le désir louable d’obtenir dans l’Europe les suffrages des hommes qui pensent et qui enseignent à penser. Elle pose ces principes pour base de son gouvernement. Elle a écrit de sa main dans le conseil de législation ces paroles, qu’il faut graver aux portes de toutes les villes :

« Dans un grand empire, qui étend sa domination sur autant

  1. Toute la fin de cette section est un fragment de la Lettre sur les panégyriques (voyez les Mélanges, année 1767.)