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RELIGION.

usurper des dignités et un pouvoir qui pourraient en faire des tyrans ? Celle qui établirait des retraites commodes pour la vieillesse et pour la maladie, mais jamais pour la fainéantise ?

Une grande partie de cette religion est déjà dans le cœur de plusieurs princes, et elle sera dominante dès que les articles de paix perpétuelle que l’abbé de Saint-Pierre a proposés seront signés de tous les potentats.

SECTION II[1].

Je méditais cette nuit ; j’étais absorbé dans la contemplation de la nature ; j’admirais l’immensité, le cours, les rapports de ces globes infinis que le vulgaire ne sait pas admirer.

J’admirais encore plus l’intelligence qui préside à ces vastes ressorts. Je me disais : « Il faut être aveugle pour n’être pas ébloui de ce spectacle ; il faut être stupide pour n’en pas reconnaître l’auteur ; il faut être fou pour ne pas l’adorer. Quel tribut d’adoration dois-je lui rendre ? Ce tribut ne doit-il pas être le même dans toute l’étendue de l’espace, puisque c’est le même pouvoir suprême qui règne également dans cette étendue ? Un être pensant qui habite dans une étoile de la voie lactée ne lui doit-il pas le même hommage que l’être pensant sur ce petit globe où nous sommes ? La lumière est uniforme pour l’astre de Sirius et pour nous ; la morale doit être uniforme. Si un animal sentant et pensant dans Sirius est né d’un père et d’une mère tendres qui aient été occupés de son bonheur, il leur doit autant d’amour et de soins que nous en devons ici à nos parents. Si quelqu’un dans la voie lactée voit un indigent estropié, s’il peut le soulager et s’il ne le fait pas, il est coupable envers tous les globes. Le cœur a partout les mêmes devoirs : sur les marches du trône de Dieu, s’il a un trône ; et au fond de l’abîme, s’il est un abîme. »

J’étais plongé dans ces idées, quand un de ces génies qui remplissent les intermondes descendit vers moi. Je reconnus cette même créature aérienne qui m’avait apparu autrefois pour m’apprendre combien les jugements de Dieu diffèrent des nôtres, et combien une bonne action est préférable à la controverse[2].

Il me transporta dans un désert tout couvert d’ossements

  1. Ce morceau est célèbre. Il rappelle certaines Visions de Jean-Paul Richter. Qu’on nous pardonne ce rapprochement qui, quoique étrange, ne nous semble pas moins juste. Jean-Paul connaissait bien son Voltaire. (G. A.) — Voyez la note, page 340.
  2. Voyez l’article Dogme (Note de Voltaire.)