Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
346
RELIGION.

je passe une vie heureuse avec tous ces grands hommes que vous voyez, et dont je suis le moindre. »

Après avoir joui quelque temps de l’entretien de Socrate, je m’avançai avec mon guide dans un bosquet situé au-dessus des bocages où tous ces sages de l’antiquité semblaient goûter un doux repos.

Je vis un homme d’une figure douce et simple, qui me parut âgé d’environ trente-cinq ans. Il jetait de loin des regards de compassion sur ces amas d’ossements blanchis, à travers desquels on m’avait fait passer pour arriver à la demeure des sages. Je fus étonné de lui trouver les pieds enflés et sanglants, les mains de même, le flanc percé, et les côtes écorchées de coups de fouet.

« Eh, bon Dieu ! lui dis-je, est-il possible qu’un juste, un sage soit dans cet état ? Je viens d’en voir un qui a été traité d’une manière bien odieuse ; mais il n’y a pas de comparaison entre son supplice et le vôtre. De mauvais prêtres et de mauvais juges l’ont empoisonné : est-ce aussi par des prêtres et par des juges que vous avez été assassiné si cruellement ? »

Il me répondit oui avec beaucoup d’affabilité.

« Et qui étaient donc ces monstres ?

— C’étaient des hypocrites.

— Ah ! c’est tout dire ; je comprends par ce seul mot qu’ils durent vous condamner au dernier supplice. Vous leur aviez donc prouvé, comme Socrate, que la Lune n’était pas une déesse, et que Mercure n’était pas un dieu ?

— Non, il n’était pas question de ces planètes. Mes compatriotes ne savaient point du tout ce que c’est qu’une planète ; ils étaient tous de francs ignorants. Leurs superstitions étaient toutes différentes de celles des Grecs.

— Vous voulûtes donc leur enseigner une nouvelle religion ?

— Point du tout ; je leur disais simplement : « Aimez Dieu de tout votre cœur, et votre prochain comme vous-même, car c’est là tout l’homme. » Jugez si ce précepte n’est pas aussi ancien que l’univers ; jugez si je leur apportais un culte nouveau. Je ne cessais de leur dire que j’étais venu non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir ; j’avais observé tous leurs rites ; circoncis comme ils l’étaient tous, baptisé comme l’étaient les plus zélés d’entre eux, je payais comme eux le corban ; je faisais comme eux la pâque, en mangeant debout un agneau cuit dans des laitues. Moi et mes amis, nous allions prier dans le temple ; mes amis même fréquentèrent ce temple après ma mort ; en un mot, j’accomplis toutes leurs lois sans en excepter une.