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RELIGION.

se le représenter autrement. Elle ne pouvait croire que la bourgade voisine n’eût pas aussi son dieu. Voilà pourquoi Jephté dit aux habitants de Moab : « Vous possédez légitimement ce que votre dieu Chamos vous a fait conquérir ; vous devez nous laisser jouir de ce que notre dieu nous a donné par ses victoires, » (Juges, XI, 24.)

Ce discours, tenu par un étranger à d’autres étrangers, est très-remarquable. Les Juifs et les Moabites avaient dépossédé les naturels du pays ; l’un et l’autre n’avait d’autre droit que celui de la force, et l’un dit à l’autre : Ton dieu t’a protégé dans ton usurpation, souffre que mon dieu me protége dans la mienne.

Jérémie et Amos demandent l’un et l’autre « quelle raison a eue le dieu Melchom de s’emparer du pays de Gad ». Il paraît évident par ces passages que l’antiquité attribuait à chaque pays un dieu protecteur. On trouve encore des traces de cette théologie dans Homère.

Il est bien naturel que l’imagination des hommes s’étant échauffée, et leur esprit ayant acquis des connaissances confuses, ils aient bientôt multiplié leurs dieux, et assigné des protecteurs aux éléments, aux mers, aux forêts, aux fontaines, aux campagnes. Plus ils auront examiné les astres, plus ils auront été frappés d’admiration. Le moyen de ne pas adorer le soleil, quand on adore la divinité d’un ruisseau ? Dès que le premier pas est fait, la terre est bientôt couverte de dieux ; et on descend enfin des astres aux chats et aux ognons.

Cependant il faut bien que la raison se perfectionne ; le temps forme enfin des philosophes qui voient que ni les ognons, ni les chats, ni même les astres, n’ont arrangé l’ordre de la nature. Tous ces philosophes, babyloniens, persans, égyptiens, scythes, grecs et romains, admettent un Dieu suprême, rémunérateur et vengeur.

Ils ne le disent pas d’abord aux peuples : car quiconque eût mal parlé des ognons et des chats devant des vieilles et des prêtres eût été lapidé ; quiconque eût reproché à certains Égyptiens de manger leurs dieux eût été mangé lui-même, comme en effet Juvénal rapporte qu’un Égyptien fut tué et mangé tout cru[1] dans une dispute de controverse.

Mais que fit-on ? Orphée et d’autres établissent des mystères

  1. Victrix turba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    . . . . . longum usque adeo tardumque putavit
    Expectare focos, contenta cadavero crudo.

    (Juvénal, satire XV, vers 81-83.)