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SAMSON.

remarqué en partie[1], c’est que ni la Grèce, ni la Thrace, ni aucun peuple, ne connut jamais le véritable déluge, le grand déluge, le déluge de Noé.

Comment, encore une fois, un événement aussi terrible que celui du submergement de toute la terre put-il être ignoré des survivants ? Comment le nom de notre père Noé, qui repeupla le monde, put-il être inconnu à tous ceux qui lui devaient la vie ? C’est le plus étonnant de tous les prodiges, que de tant de petits-fils aucun n’ait parlé de son grand-père.

Je me suis adressé à tous les doctes ; je leur ai dit : Avez-vous jamais lu quelque vieux livre grec, toscan, arabe, égyptien, chaldéen, indien, persan, chinois, où le nom de Noé se soit trouvé ? Ils m’ont tous répondu que non. J’en suis encore tout confondu.

Mais que l’histoire de cette inondation universelle se trouve dans une page d’un livre écrit dans un désert par des fugitifs, et que cette page ait été inconnue au reste du monde entier jusque vers l’an 900 de la fondation de Rome, c’est ce qui me pétrifie ; je n’en reviens pas. Mon cher lecteur, crions bien fort : O altitudo ignorantiarum !



SAMSON[2].


En qualité de pauvres compilateurs par alphabet, de ressasseurs d’anecdotes, d’éplucheurs de minuties, de chiffonniers qui ramassent des guenilles au coin des rues, nous nous glorifierons, avec toute la fierté attachée à nos sublimes sciences, d’avoir découvert qu’on joua le fort Samson, tragédie, sur la fin du xvie siècle, en la ville de Rouen, et qu’elle fut imprimée chez Abraham Couturier[3]. Jean ou John Milton, longtemps maître d’école à Londres, puis secrétaire pour le latin du parlement nommé le croupion ; Milton, auteur du Paradis perdu et du Paradis retrouvé, fit la tragédie de Samson agoniste ; et il est bien cruel de ne pouvoir dire en quelle année.

Mais nous savons qu’on l’imprima avec une préface, dans

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1767, le chapitre xxi de la Défense de mon oncle.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  3. La Tragédie nouvelle de Samson le Fort, en quatre actes, contenant ses victoires, sa prise par la trahison de son épouse Dalila, Par Ville-Toussaint. Imprimée sans date, en 1620. (G. A.)