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SCANDALE.

[1]Que le révérend P. Dorothée se soit fait trois mille livres de rente aux dépens du couvent, et par conséquent aux dépens du public, voilà non-seulement un scandale énorme, mais un vol manifeste et un vol fait à la classe la plus indigente des citoyens de Paris : car ce sont les pauvres qui payent la taxe imposée par les moines mendiants. L’ignorance et la faiblesse du peuple lui persuadent qu’il ne peut gagner le ciel qu’en donnant son nécessaire, dont ces moines composent leur superflu.

Il a donc fallu que, de ce seul chef, frère Dorothée ait extorqué vingt mille écus au moins aux pauvres de Paris, pour se faire mille écus de rente.

Songez bien, mon cher lecteur, que de telles aventures ne sont pas rares dans ce xviiie siècle de notre ère vulgaire, qui a produit tant de bons livres. Je vous l’ai déjà dit, le peuple ne lit point[2]. Un capucin, un récollet, un carme, un picpus, qui confesse et qui prêche, est capable de faire lui seul plus de mal que les meilleurs livres ne pourront jamais faire de bien.

J’oserais proposer aux âmes bien nées de répandre dans une capitale un certain nombre d’anticapucins, d’antirécollets, qui iraient de maison en maison recommander aux pères et mères d’être bien vertueux, et de garder leur argent pour l’entretien de leur famille et le soutien de leur vieillesse ; d’aimer Dieu de tout leur cœur, et de ne jamais rien donner aux moines. Mais revenons à la vraie signification du mot scandale.

[3]Dans ce procès des capucins, on accuse frère Grégoire d’avoir fait un enfant à Mlle Bras-de-Fer, et de l’avoir ensuite mariée à Moutard le cordonnier. On ne dit point si frère Grégoire a donné lui-même la bénédiction nuptiale à sa maîtresse et à ce pauvre Moutard avec dispense. S’il l’a fait, voilà le scandale le plus complet qu’on puisse donner ; il renferme fornication, vol, adultère, et sacrilége. Horresco referens[4].

Je dis d’abord fornication, puisque frère Grégoire forniqua avec Magdeleine Bras-de-Fer, qui n’avait alors que quinze ans.

Je dis vol, puisqu’il donna des tabliers et des rubans à Magdeleine, et qu’il est évident qu’il vola le couvent pour les acheter, pour payer les soupers, et les frais des couches, et les mois de nourrice.

  1. Page 3 du Mémoire contre frère Athanase. (Note de Voltaire.)
  2. Tome XVII, page 2 ; tome XVIII, page 379.
  3. Page 43 du Mémoire contre frère Athanase, présenté au parlement.
  4. Virgile, Æn., II, 204.