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SOMNAMBULES.


SOMNAMBULES, ET SONGES.


SECTION PREMIÈRE[1].


J’ai vu un somnambule, mais il se contentait de se lever, de s’habiller, de faire la révérence, de danser le menuet assez proprement ; après quoi il se déshabillait, se recouchait, et continuait de dormir.

Cela n’approche pas du somnambule de l’Encyclopédie. C’était un jeune séminariste qui se relevait pour composer un sermon en dormant, l’écrivait correctement, le relisait d’un bout à l’autre, ou du moins croyait le relire, y faisait des corrections, raturait des lignes, en substituait d’autres, remettait à sa place un mot oublié ; composait de la musique, la notait exactement, après avoir réglé son papier avec sa canne, et plaçait les paroles sous les notes sans se tromper, etc., etc.

Il est dit qu’un archevêque de Bordeaux a été témoin de toutes ces opérations, et de beaucoup d’autres aussi étonnantes. Il serait à souhaiter que ce prélat eût donné lui-même son attestation signée de ses grands-vicaires, ou du moins de monsieur son secrétaire.

Mais supposons que ce somnambule ait fait tout ce qu’on lui attribue, je lui ferai toujours les mêmes questions que je ferais à un simple songeur. Je lui dirais : Vous avez songé plus fortement qu’un autre, mais c’est par le même principe ; cet autre n’a eu que la fièvre, et vous avez eu le transport au cerveau. Mais enfin, vous avez reçu l’un et l’autre des idées, des sensations auxquelles vous ne vous attendiez nullement ; vous avez fait tout ce que vous n’aviez nulle envie de faire.

De deux dormeurs l’un n’a pas une seule idée, l’autre en

  1. Cette section formait tout l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. En 1774, Voltaire mit à la suite une Lettre qu’il avait écrite, le 20 juin 1764, aux auteurs de la Gazette littéraire, et qu’on trouvera à sa date (Mélanges, année 1764), parmi les Articles extraits de la Gazette littéraire. (B.)