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SUPPLICES.

fit empoisonner ce premier dauphin, qui était entre le trône et son mari. Imposteurs ! encore une fois, accordez-vous donc. Songez-vous que Catherine de Médicis n’était alors âgée que de dix-sept ans ?

On a dit que ce fut Charles-Quint lui-même qui imputa cette mort à Catherine, et on cite l’historien Vera. On se trompe ; voici ses paroles[1] :

« En este ano avia muerto en Paris el delfin de Francia con señales evidentes de veneno. Attribuyeronlo los suyos a diligencia del marques del Basto, y Antonio do Leiva, y costó la vida al conde de Montecuculo, Frances con quien se correspondian : indigna sospecha de tan generosos hombres, y inutil ; puesto, que con matar al delfin, se grangeava poco ; porque no era nada valeroso, ni sin hermanos que le sucediessen. Brevemente se passó desta presuncion a otra mas fundada, que avia sido la muerte per orden de su hermano el duque de Orliens, a persuasion de Catalina de Médicis su muger, ambiciosa de llegar a ser reyna, como lo fue. Y nota bien un autor que la muerte desgraciada que tuvo despues este Enrico, la permitió Dios en castigo de la alevosa que dio (si la dió) al inocente hermano : costumbre mas que medianamente introducida en principes, deshazerse a poca costa de los que por algun camino los embaracan ; pero siempre son visiblemente castigados de Dios. »

— En cette année mourut à Paris le dauphin de France avec des signes évidents de poison. Les siens l’attribuèrent aux ordres du marquis del Vasto et d’Antoine de Lève, ce qui coûta la vie au comte de Montecuculo, Français qui était en correspondance avec eux : indigne et inutile soupçon contre des hommes si généreux, puisqu’en tuant le dauphin on gagnait peu. Il n’était encore connu par sa valeur, ni lui ni ses frères qui devaient lui succéder. De cette présomption on passa à une autre ; on prétendit que ce meurtre avait été commis par l’ordre du duc d’Orléans son frère, à la persuasion de Catherine de Médicis, sa femme, qui avait l’ambition d’être reine, comme elle le fut en effet. Et un auteur remarque très-bien que la mort funeste de ce duc d’Orléans, depuis Henri II, fut une punition divine du poison qu’il avait donné à son frère (si pourtant il lui en fit donner) : coutume trop ordinaire aux princes de se défaire à peu de frais de ceux qui les embarrassent dans leur chemin, mais souvent et visiblement punie de Dieu. »

  1. Page 166, édition de Bruxelles, 1656, in-4o. (Note de Voltaire.)