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SYSTÈME.

les nombres ; que les corps ont quatre éléments, le feu, l’eau, l’air et la terre ; que la lumière et les ténèbres, le froid et le chaud, l’humide et le sec, sont en égale quantité ; qu’il ne faut point manger de fèves ; que l’âme est divisée en trois parties ; que Pythagore avait été autrefois Aethalide, puis Euphorbe, puis Hermotime, et que ce grand homme étudia la magie à fond. Notre Diogène ne dit pas un mot du vrai système du monde attribué à ce Pythagore ; et il faut avouer qu’il y a loin de son aversion prétendue pour les fèves aux observations et aux calculs qui démontrent aujourd’hui le cours des planètes et de la terre.

Le fameux arien Eusèbe, évêque de Césarée, dans sa Préparation évangélique, s’exprime ainsi[1] : « Tous les philosophes prononcent que la terre est en repos ; mais Philolaüs le péripatéticien pense qu’elle se meut autour du feu dans un cercle oblique, tout comme le soleil et la lune. »

Ce galimatias n’a rien de commun avec les sublimes vérités que nous ont enseignées Copernic, Galilée, Kepler, et surtout Newton.

Quant au prétendu Aristarque de Samos, qu’on dit avoir développé les découvertes des Chaldéens sur le cours de la planète de la terre et des autres planètes, il est si obscur que Wallis a été obligé de le commenter d’un bout à l’autre pour tâcher de le rendre intelligible.

Enfin, il est fort douteux que le livre attribué à cet Aristarque de Samos soit de lui. On a fort soupçonné les ennemis de la nouvelle philosophie d’avoir fabriqué cette fausse pièce en faveur de leur mauvaise cause. Ce n’est pas seulement en fait de vieilles chartes que nous avons eu de pieux faussaires. Cet Aristarque de Samos est d’autant plus suspect que Plutarque l’accuse d’avoir été un bigot, un méchant hypocrite, imbu de l’opinion contraire. Voici les paroles de Plutarque dans son fatras intitulé la Face du rond de la lune : Aristarque le Samien disait que les Grecs devaient « punir Cléanthe de Samos, lequel soupçonnait que le ciel est immobile, et que c’est la terre qui se meut autour du zodiaque, en tournant sur son axe[2] ».

  1. Page 850, édition in-folio de 1624. (Note de Voltaire.)
  2. Wallis, qui le premier publia le texte grec d’Aristarque en 1688, s’était servi, pour le rétablir en beaucoup d’endroits, des traductions latines publiées précédemment. Presque toutes les corrections faites ainsi par Wallis se sont trouvées conformes aux manuscrits consultés par M. de Fortia d’Urban, pour l’édition du même auteur qu’il a donnée à Paris en 1810. Mais il est bon de remarquer que dans ce traité, qui est intitulé De Magnitudinibus et Distantiis solis et lunœ, le seul qu’on ait d’Aristarque, il n’est pas question du mouvement de la terre.

    Cependant Plutarque, dans ses Questions platoniques,vii, dit formellement qu’Aristarque et Seleucus ont montré le mouvement de la terre. Plutarque se trouverait donc en contradiction avec lui-même en disant, comme le rapporte Voltaire, qu’Aristarque disait que les Grecs devaient punir Cléanthe de Samos, lequel soupçonnait que le ciel est immobile, etc. Cléanthe n’était pas de Samos, mais d’Assos, ville de Lycie ; d’où Gassendi a conclu que les copistes avaient transposé les mots, et qu’il fallait lire Cléanthe disait que les Grecs devaient punir Aristarque de Samos, etc. Cette opinion a été adoptée par Ménage, Fabricius, Bayle, par les éditeurs récents de Plutarque, par Ricard, son dernier traducteur français, et par MM. Brotier, Vauvilliers, et Clavier, dans leurs notes sur les dernières éditions de la traduction d’Amyot. Voilà donc Aristarque justifié contre les reproches de Voltaire, qui s’appuyait sur un passage altéré de Plutarque.

    Mais en 1644, Roberval publia un volume qu’il intitula Aristarchi Samii de mundi systemate, partibus et motibus, ejusdem libellus, cum notis P. de Roberval. Aristarque n’est nullement auteur de ce livre, qui est tout de Roberval, quoiqu’il ne s’en donne que comme éditeur (par des raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici). Mais, sans doute d’après les passages de Plutarque, Roberval y fait parler Aristarque du mouvement de la terre.

    Voltaire n’avait probablement sous les yeux que cet ouvrage supposé, qu’il a confondu avec le véritable ouvrage d’Aristarque publié par Wallis ; et, par extraordinaire, ses raisonnements ici portent à faux. (B.)