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MARTYRS.

ment à sa grandeur et à sa gloire. Il n’y a eu entre les empereurs que Néron et Domitien qui, étant trompés par certains imposteurs, ont répandu contre nous des calomnies qui ont trouvé, selon la coutume, quelque créance parmi le peuple. Mais vos très-pieux prédécesseurs ont corrigé l’ignorance de ce peuple, et ont réprimé par des édits publics la hardiesse de ceux qui entreprendraient de nous faire aucun mauvais traitement. Adrien, votre aïeul, a écrit en notre faveur à Fundanus, gouverneur d’Asie, et à plusieurs autres. L’empereur votre père, dans le temps que vous partagiez avec lui les soins du gouvernement, a écrit aux habitants de Larisse, de Thessalonique, d’Athènes, et enfin à tous les peuples de la Grèce, pour réprimer les séditions et les tumultes qui avaient été excités contre nous. »

Ce passage d’un évêque très-pieux, très-sage et très-véridique, suffit pour confondre à jamais tous les mensonges des légendaires, qu’on peut regarder comme la bibliothèque bleue du christianisme.

D’une autre sainte Félicité, et sainte Perpétue.

S’il était question de contredire la légende de Félicité et de Perpétue, il ne serait pas difficile de faire voir combien elle est suspecte. On ne connaît ces martyres de Carthage que par un écrit sans date de l’Église de Saltzbourg. Or il y a loin de cette partie de la Bavière à la Goulette. On ne nous dit pas sous quel empereur cette Félicité et cette Perpétue reçurent la couronne du dernier supplice. Les visions prodigieuses dont cette histoire est remplie ne décèlent pas un historien bien sage. Une échelle toute d’or bordée de lances et d’épées, un dragon au haut de l’échelle, un grand jardin auprès du dragon, des brebis dont un vieillard tirait le lait, un réservoir plein d’eau, un flacon d’eau dont on buvait sans que l’eau diminuât, sainte Perpétue se battant toute nue contre un vilain Égyptien, de beaux jeunes gens tout nus qui prenaient son parti ; elle-même enfin devenue homme et athlète très-vigoureux : ce sont là, ce me semble, des imaginations qui ne devraient pas entrer dans un ouvrage respectable.

Il y a encore une réflexion très-importante à faire : c’est que le style de tous ces récits de martyres arrivés dans des temps si différents est partout semblable, partout également puéril et ampoulé. Vous retrouvez les mêmes tours, les mêmes phrases dans l’histoire d’un martyre sous Domitien, et d’un autre sous Galérius. Ce sont les mêmes épithètes, les mêmes exagérations.