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VISION DE CONSTANTIN.

« Il assurait qu’il avait vu dans l’après-midi, lorsque le soleil baissait, une croix lumineuse au-dessus du soleil, avec cette inscription en grec : Vainquez par ce signe ; que ce spectacle l’avait extrêmement étonné, de même que tous les soldats qui le suivaient, qui furent témoins du miracle : que tandis qu’il avait l’esprit tout occupé de cette vision, et qu’il cherchait à en pénétrer le sens, la nuit étant survenue, Jésus-Christ lui était apparu pendant son sommeil, avec le même signe qu’il lui avait montré le jour dans l’air, et lui avait commandé de faire un étendard de la même forme, et de le porter dans les combats pour se garantir du danger. Constantin, s’étant levé dès la pointe du jour, raconta à ses amis le songe qu’il avait eu ; et ayant fait venir des orfèvres et des lapidaires, il s’assit au milieu, leur expliqua la figure du signe qu’il avait vu, et leur commanda d’en faire un semblable d’or et de pierreries : et nous nous souvenons de l’avoir vu quelquefois. »

Eusèbe ajoute ensuite que Constantin, étonné d’une si admirable vision, fit venir les prêtres chrétiens ; et qu’instruit par eux il s’appliqua à la lecture de nos livres sacrés, et conclut qu’il devait adorer avec un profond respect le Dieu qui lui était apparu.

Comment concevoir qu’une vision si admirable, vue de tant de milliers de personnes, et si propre à justifier la vérité de la religion chrétienne, ait été inconnue à Eusèbe, historien si soigneux de rechercher tout ce qui pouvait contribuer à faire honneur au christianisme, jusqu’à citer à faux des monuments profanes, comme nous l’avons vu à l’article Éclipse ? Et comment se persuader qu’il n’en ait été informé que plusieurs années après, par le seul témoignage de Constantin ? N’y avait-il donc point de chrétiens dans l’armée qui fissent gloire publiquement d’avoir vu un pareil prodige ? Auraient-ils eu si peu d’intérêt à leur cause que de garder le silence sur un si grand miracle ? Doit-on, après cela, s’étonner que Gélase de Cysique, un des successeurs d’Eusèbe dans le siége de Césarée au ve siècle, ait dit que bien des gens soupçonnaient que ce n’était là qu’une fable inventée en faveur de la religion chrétienne[1] ?

Ce soupçon sera bien plus fort, si l’on fait attention combien peu les témoins sont d’accord entre eux sur les circonstances de cette merveilleuse apparition. Presque tous assurent que la croix fut vue de Constantin et de toute son armée ; et Gélase ne parle

  1. Histoire des actes du concile de Nicée, chapitre iv. (Note de Voltaire.)