Allons, je veux bien m’apaiser un moment en attendant les fagots. Réponds-moi : Qu’est-ce que l’esprit ?
Je n’en sais rien.
Qu’est-ce que la matière ?
Je n’en sais pas grand’chose. Je la crois étendue, solide, résistante, gravitante, divisible, mobile ; Dieu peut lui avoir donné mille autres qualités que j’ignore.
Mille autres qualités, traître ! Je vois où tu veux venir : tu vas me dire que Dieu peut animer la matière, qu’il a donné l’instinct aux animaux, qu’il est le maître de tout.
Mais il se pourrait bien faire qu’en effet il eût accordé à cette matière bien des propriétés que vous ne sauriez comprendre.
Que je ne saurais comprendre, scélérat !
Oui, sa puissance va plus loin que votre entendement.
Sa puissance ! sa puissance ! vrai discours d’athée.
J’ai pourtant pour moi le témoignage de plusieurs saints Pères.
Va, va, ni Dieu, ni eux, ne nous empêcheront de te faire brûler vif ; c’est un supplice dont on punit les parricides et les philosophes qui ne sont pas de notre avis.
Est-ce le diable, ou toi, qui a inventé cette manière d’argumenter ?
Vilain possédé, tu oses me mettre de niveau avec le diable !
(Ici l’énergumène donne un grand soufflet au philosophe, qui le lui rend avec usure.)
À moi les philosophes !
À moi la sainte Hermandad !
(Ici une demi-douzaine de philosophes arrivent d’un côté, et on voit accourir de l’autre cent dominicains avec cent familiers de l’Inquisition, et cent alguazils. La partie n’est pas tenable.)