Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
600
XÉNOPHON.

Mais pourquoi cet homme libre eut-il une compagnie grecque à la solde du jeune Cosrou, nommé Cyrus par les Grecs ? Ce Cyrus était frère puîné et sujet de l’empereur de Perse Artaxerxe Mnemon, dont on a dit qu’il n’avait jamais rien oublié que les injures. Cyrus avait déjà voulu assassiner son frère dans le temple même où l’on faisait la cérémonie de son sacre (car les rois de Perse furent les premiers qui furent sacrés) ; non-seulement Artaxerxe eut la clémence de pardonner à ce scélérat, mais il eut la faiblesse de lui laisser le gouvernement absolu d’une grande partie de l’Asie Mineure, qu’il tenait de leur père, et dont il méritait au moins d’être dépouillé.

Pour prix d’une si étonnante clémence, dès qu’il put se soulever dans sa satrapie contre son frère, il ajouta ce second crime au premier. Il déclara par un manifeste « qu’il était plus digne du trône de Perse que son frère, parce qu’il était meilleur magicien et qu’il buvait plus de vin que lui ».

Je ne crois pas que ce fussent ces raisons qui lui donnèrent pour alliés les Grecs. Il en prit à sa solde treize mille, parmi lesquels se trouva le jeune Xénophon, qui n’était alors qu’un aventurier. Chaque soldat eut d’abord une darique de paye par mois. La darique valait environ une guinée ou un louis d’or de notre temps, comme le dit très-bien M. le chevalier de Jaucourt, et non pas dix francs, comme le dit Rollin.

Quand Cyrus leur proposa de se mettre en marche avec ses autres troupes pour aller combattre son frère vers l’Euphrate, ils demandèrent une darique et demie, et il fallut bien la leur accorder. C’était trente-six livres par mois, et par conséquent la plus forte paye qu’on ait jamais donnée. Les soldats de César et de Pompée n’eurent que vingt sous par jour dans la guerre civile. Outre cette solde exorbitante, dont ils se firent payer quatre mois d’avance, Cyrus leur fournissait quatre cents chariots chargés de farine et de vin.

Les Grecs étaient donc précisément ce que sont aujourd’hui les Helvétiens, qui louent leur service et leur courage aux princes leurs voisins, mais pour une somme trois fois plus modique que n’était la solde des Grecs.

Il est évident, quoi qu’on en dise, qu’ils ne s’informaient pas si la cause pour laquelle ils combattaient était juste ; il suffisait que Cyrus payât bien.

Les Lacédémoniens composaient la plus grande partie de ces troupes. Ils violaient en cela leurs traités solennels avec le roi de Perse.