Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
MESSIE.

L’an 1666, Sabatei-Sévi, né dans Alep, se dit le Messie prédit par les Zieglernes. Il débuta par prêcher sur les grands chemins et au milieu des campagnes : les Turcs se moquaient de lui, pendant que ses disciples l’admiraient. Il paraît qu’il ne mit pas d’abord dans ses intérêts le gros de la nation juive, puisque les chefs de la synagogue de Smyrne portèrent contre lui une sentence de mort ; mais il en fut quitte pour la peur et le bannissement.

Il contracta trois mariages, et l’on prétend qu’il n’en consomma point, disant que cela était au-dessous de lui. Il s’associa un nommé Nathan-Lévi : celui-ci fit le personnage du prophète Élie, qui devait précéder le Messie. Ils se rendirent à Jérusalem, et Nathan y annonça Sabatei-Sévi comme le libérateur des nations. La populace juive se déclara pour eux ; mais ceux qui avaient quelque chose à perdre les anathématisèrent.

Sévi, pour fuir l’orage, se retira à Constantinople et de là à Smyrne ; Nathan-Lévi lui envoya quatre ambassadeurs, qui le reconnurent et le saluèrent publiquement en qualité de Messie ; cette ambassade en imposa au peuple, et même à quelques docteurs, qui déclarèrent Sabatei-Sévi messie et roi des Hébreux. Mais la synagogue de Smyrne condamna son roi à être empalé.

Sabatei se mit sous la protection du cadi de Smyrne, et eut bientôt pour lui tout le peuple juif ; il fit dresser deux trônes, un pour lui et l’autre pour son épouse favorite ; il prit le nom de roi des rois, et donna à Joseph Sévi son frère celui de roi de Juda. Il promit aux Juifs la conquête de l’empire ottoman assurée. Il poussa même l’insolence jusqu’à faire ôter de la liturgie juive le nom de l’empereur, et à y faire substituer le sien.

On le fit mettre en prison aux Dardanelles ; les Juifs publièrent qu’on n’épargnait sa vie que parce que les Turcs savaient bien qu’il était immortel. Le gouverneur des Dardanelles s’enrichit des présents que les Juifs lui prodiguèrent pour visiter leur roi, leur messie prisonnier, qui dans les fers conservait toute sa dignité, et se faisait baiser les pieds.

Cependant le sultan, qui tenait sa cour à Andrinople, voulut faire finir cette comédie ; il fit venir Sévi, et lui dit que s’il était messie il devait être invulnérable ; Sévi en convint. Le Grand Seigneur le fit placer pour but aux flèches de ses icoglans ; le messie avoua qu’il n’était point invulnérable, et protesta que Dieu ne l’envoyait que pour rendre témoignage à la sainte religion musulmane. Fustigé par les ministres de la loi, il se fit