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MIRACLES.



MIRACLES.


SECTION PREMIÈRE[1].

Un miracle, selon l’énergie du mot, est une chose admirable : en ce cas, tout est miracle. L’ordre prodigieux de la nature, la rotation de cent millions de globes autour d’un million de soleils, l’activité de la lumière, la vie des animaux, sont des miracles perpétuels.

Selon les idées reçues, nous appelons miracle la violation de ces lois divines et éternelles. Qu’il y ait une éclipse de soleil pendant la pleine lune, qu’un mort fasse à pied deux lieues de chemin en portant sa tête entre ses bras, nous appelons cela un miracle.

Plusieurs physiciens soutiennent qu’en ce sens il n’y a point de miracles, et voici leurs arguments.

Un miracle est la violation des lois mathématiques, divines, immuables, éternelles. Par ce seul exposé, un miracle est une contradiction dans les termes : une loi ne peut être à la fois immuable et violée. Mais une loi, leur dit-on, étant établie par Dieu même, ne peut-elle être suspendue par son auteur ? Ils ont la hardiesse de répondre que non, et qu’il est impossible que l’Être infiniment sage ait fait des lois pour les violer. Il ne pouvait, disent-ils, déranger sa machine que pour la faire mieux aller ; or il est clair qu’étant Dieu il a fait cette immense machine aussi bonne qu’il l’a pu : s’il a vu qu’il y aurait quelque imperfection résultante de la nature de la matière, il y a pourvu dès le commencement ; ainsi il n’y changera jamais rien.

De plus, Dieu ne peut rien faire sans raison ; or quelle raison le porterait à défigurer pour quelque temps son propre ouvrage ?

C’est en faveur des hommes, leur dit-on. C’est donc au moins en faveur de tous les hommes, répondent-ils : car il est impossible de concevoir que la nature divine travaille pour quelques hommes en particulier, et non pas pour tout le genre humain ; encore même le genre humain est bien peu de chose : il est beaucoup moindre qu’une petite fourmilière en comparaison de tous les êtres qui remplissent l’immensité. Or n’est-ce pas la plus absurde des folies d’imaginer que l’Être infini intervertisse en

  1. Cette section formait tout l’article dans le Dictionnaire philosophique, en 1764. (B.)