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MIRACLES.

toutes les montagnes allaient se jeter de compagnie dans la mer, le tout pour prouver quelque vérité importante, comme, par exemple, la grâce versatile. « Ce que je dirais ? répondit le philosophe, je me ferais manichéen ; je dirais qu’il y a un principe qui défait ce que l’autre a fait. »

SECTION II[1].

Définissez les termes, vous dis-je, ou jamais nous ne nous entendrons. « Miraculum, res miranda, prodigium, portentum, monstrum. » Miracle, chose admirable ; prodigium, qui annonce chose étonnante ; portentum, porteur de nouveautés ; monstrum, chose à montrer par rareté.

Voilà les premières idées qu’on eut d’abord des miracles.

Comme on raffine sur tout, on raffina sur cette définition ; on appela miracle ce qui est impossible à la nature ; mais on ne songea pas que c’était dire que tout miracle est réellement impossible. Car qu’est-ce que la nature ? Vous entendez par ce mot l’ordre éternel des choses. Un miracle serait donc impossible dans cet ordre. En ce sens Dieu ne pourrait faire de miracle.

Si vous entendez par miracle un effet dont vous ne pouvez voir la cause, en ce sens tout est miracle. L’attraction et la direction de l’aimant sont des miracles continuels. Un limaçon auquel il revient une tête est un miracle. La naissance de chaque animal, la production de chaque végétal, sont des miracles de tous les jours.

Mais nous sommes si accoutumés à ces prodiges qu’ils ont perdu leur nom d’admirables, de miraculeux. Le canon n’étonne plus les Indiens.

Nous nous sommes donc fait une autre idée de miracle. C’est, selon l’opinion vulgaire, ce qui n’était jamais arrivé et ce qui n’arrivera jamais. Voilà l’idée qu’on se forme de la mâchoire d’âne de Samson, des discours de l’ânesse de Balaam, de ceux d’un serpent avec Ève, des quatre chevaux qui enlevèrent Élie, du poisson qui garda Jonas soixante et douze heures dans son ventre, des dix plaies d’Égypte, des murs de Jéricho, du soleil et de la lune arrêtés à midi, etc., etc., etc., etc.

Pour croire un miracle, ce n’est pas assez de l’avoir vu : car on

  1. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771, l’article avait quatre sections. Celle qui est aujourd’hui la seconde formait la première ; ce qui fait la troisième était la deuxième ; ce qui est la quatrième était la troisième ; la quatrième se composait d’un morceau de la douzième lettre qu’on trouve dans les Questions sur les Miracles (Mélanges, année 1765). (B.)