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SONGE DE PLATON


(1756)




Platon rêvait beaucoup, et on n’a pas moins rêvé depuis. Il avait songé que la nature humaine était autrefois double, et qu’en punition de ses fautes elle fut divisée en mâle et femelle.

Il avait prouvé qu’il ne peut y avoir que cinq mondes parfaits, parce qu’il n’y a que cinq corps réguliers en mathématiques. Sa république fut un de ses grands rêves. Il avait rêvé encore que le dormir naît de la veille, et la veille du dormir, et qu’on perd sûrement la vue en regardant une éclipse ailleurs que dans un bassin d’eau. Les rêves alors donnaient une grande réputation[1].

  1. M. de Voltaire s’est égayé quelquefois sur Platon, dont le galimatias, regardé autrefois comme sublime, a fait plus de mal au genre humain qu’on ne le croit communément.

    Il est difficile de comprendre comment un philosophe qui écrivit sur la porte de son école : Que celui qui ignore la géométrie n’entre point ici ; qui fit lui-même des découvertes dans cette science, dont les premiers disciples inventèrent les sections coniques, dont l’école produisit presque tous les géomètres et les astronomes de la Grèce, qui enfin fut le fondateur d’une secte de sceptiques ; comment Platon, en un mot, put débiter si sérieusement tant de rêveries dans ses Dialogues, écrits d’ailleurs avec tant d’éloquences, et où l’on trouve souvent tant d’esprit, de bon sens et de finesse.

    On peut croire qu’effrayé par l’exemple de Socrate, il ne voulut révéler dans ses Dialogues que la demi-philosophie, qu’il croyait à la portée du vulgaire. Il espérait qu’à la faveur de ses systèmes, des tableaux par lesquels il amusait l’imagination, des détours agréables par lesquels il conduisait ses lecteurs, il pourrait faire passer un petit nombre de vérités utiles, sans s’exposer aux persécutions des prêtres et des aréopagites. Mais, par une fatalité singulière, le sage esprit de doute, ce goût pour l’astronomie et les mathématiques, conservés dans l’école de Platon, tombèrent avec cette école : ses rêveries seules subsistèrent, devinrent des mystères sacrés, et règnent encore sur des esprits auxquels le nom de Platon n’est pas même parvenu.

    Aristote, son disciple et son rival, prit une autre route ; il se bornait à exposer avec simplicité ce qu’il croyait vrai. Son Histoire des animaux, et même sa Physique, pouvaient apprendre aux Grecs à connaître la nature et à l’étudier. L’idée de réduire le raisonnement à des formes techniques est une des choses les plus