Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/179

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est encore plus blanche, et d’un incarnat plus parfait que celle de mon capitaine des Bulgares. Cette vue redoubla tous les sentiments qui m’accablaient, qui me dévoraient. Je m’écriai, je voulus dire : « Arrêtez, barbares ! » mais la voix me manqua, et mes cris auraient été inutiles. Quand vous eûtes été bien fessé : « Comment se peut-il faire, disais-je, que l’aimable Candide et le sage Pangloss se trouvent à Lisbonne, l’un pour recevoir cent coups de fouet, et l’autre pour être pendu par l’ordre de monseigneur l’inquisiteur, dont je suis la bien-aimée ? Pangloss m’a donc bien cruellement trompée, quand il me disait que tout va le mieux du monde ! »

« Agitée, éperdue, tantôt hors de moi-même, et tantôt prête de mourir de faiblesse, j’avais la tête remplie du massacre de mon père, de ma mère, de mon frère, de l’insolence de mon vilain soldat bulgare, du coup de couteau qu’il me donna, de ma servitude, de mon métier de cuisinière, de mon capitaine bulgare, de mon vilain don Issachar, de mon abominable inquisiteur, de la pendaison du docteur Pangloss, de ce grand miserere en faux-bourdon pendant lequel on vous fessait, et surtout du baiser que je vous avais donné derrière un paravent, le jour que je vous avais vu pour la dernière fois. Je louai Dieu, qui vous ramenait à moi par tant d’épreuves. Je recommandai à ma vieille d’avoir soin de vous, et de vous amener ici dès qu’elle le pourrait. Elle a très-bien exécuté ma commission ; j’ai goûté le plaisir inexprimable de vous revoir, de vous entendre, de vous parler. Vous devez avoir une faim dévorante ; j’ai grand appétit ; commençons par souper. »

Les voilà qui se mettent tous deux à table ; et, après le souper, ils se replacent sur ce beau canapé dont on a déjà parlé ; ils y étaient quand le signor don Issachar, l’un des maîtres de la maison, arriva. C’était le jour du sabbat. Il venait jouir de ses droits, et expliquer son tendre amour.


CHAPITRE IX.
CE QUI ADVINT DE CUNÉGONDE, DE CANDIDE, DU GRAND INQUISITEUR, ET D’UN JUIF.


Cet Issachar était le plus colérique Hébreu qu’on eût vu dans Israël, depuis la captivité en Babylone. « Quoi ! dit-il, chienne de galiléenne, ce n’est pas assez de monsieur l’inquisiteur ? Il faut