Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux millions de son temps, en ayant encore à recevoir plus de vingt autres qu’il laissait circuler, il épargnait à son peuple plus de cent millions qu’il en aurait coûté s’il n’avait pas pris ces utiles mesures. Il se rendait moralement sûr du succès contre un ennemi qui n’avait pas les mêmes précautions. Le calcul des probabilités[1] était prodigieusement en sa faveur. Ces vingt-deux millions encaissés prouvaient qu’il y avait alors dans le royaume la valeur de vingt-deux millions d’excédant dans les biens de la terre : ainsi personne ne souffrait[2].

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

Mon vieillard me l’avait bien dit qu’on était à proportion plus riche sous l’administration du duc de Sully que sous celle des nouveaux ministres, qui ont mis l’impôt unique, et qui m’ont pris vingt écus sur quarante. Dites-moi, je vous prie, y a-t-il une nation au monde qui jouisse de ce beau bénéfice de l’impôt unique ?

LE GÉOMÈTRE.

Pas une nation opulente. Les Anglais, qui ne rient guère, se sont mis à rire quand ils ont appris que des gens d’esprit avaient proposé parmi nous cette administration[3]. Les Chinois exigent

  1. La question se réduit à savoir s’il vaut mieux thésauriser pendant la paix que d’emprunter pendant la guerre. Le premier parti serait beaucoup plus avantageux dans un pays où la constitution et l’état des lumières permettraient de compter sur un système d’administration de finances indépendant des révolutions du ministère. (K.)
  2. Cette dernière phrase a été supprimée dans les éditions. Je l’ai rétablie, parce que je l’ai trouvée dans toutes les éditions depuis 1768 jusques et compris 1775. Voltaire avait déjà parlé du trésor de Henri IV, dans son opuscule intitulé Des Embellissements de Paris ; voyez les Mélanges, année 1749. (B.)
  3. Cela est vrai ; mais l’Angleterre est un des pays de l’Europe où l’on trouve le plus de préjugés sur tous les objets de l’administration et du gouvernement. Tout écrivain politique en Angleterre peut prétendre aux places, et rien ne nuit plus dans la recherche de la vérité que d’avoir un intérêt, bien ou mal entendu, de la trouver conforme plutôt à une opinion qu’à une autre. Il est très-possible, par cette raison, que les lumières aient moins de peine à se répandre dans une monarchie que dans une république ; et s’il existe dans les républiques plus d’enthousiasme patriotique, on trouve dans quelques monarchies un patriotisme plus éclairé.

    D’ailleurs, l’établissement d’un impôt unique est une opération qui doit se faire avec lenteur, et qui exige, pour ne causer aucun désordre passager, beaucoup de sagesse dans les mesures. Il faut en effet s’assurer d’abord par quelles espèces de propriétés, par quels cantons chaque espèce d’impôt est réellement payée, et dans quelle proportion chaque espèce de propriétés, chaque canton, ou la totalité de l’État, y contribuent ; il faut répartir ensuite dans la même proportion l’impôt qui doit les remplacer.

    Il faut par conséquent avoir un cadastre général de toues les terres ; mais, quelque exactitude qu’on suppose dans ce cadastre, quelque sagacité que l’on ait