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livres : la façon de mes cent vingt arpents me revint à quatorze mille quatre cents livres. Ma récolte, qui se monte, année commune, dans mon maudit pays, à trois cents setiers, monta, il est vrai, à trois cent trente, qui, à vingt livres le setier, me produisirent six mille six cents livres : je perdis sept mille huit cents livres ; il est vrai, que j’eus la paille.

J’étais ruiné, abîmé, sans une vieille tante qu’un grand médecin dépêcha dans l’autre monde, en raisonnant aussi bien en médecine que moi en agriculture.

Qui croirait que j’eus encore la faiblesse de me laisser séduire par le Journal de Boudet ? Cet homme-là, après tout, n’avait pas juré ma perte. Je lis dans son recueil qu’il n’y a qu’à faire une avance de quatre mille francs pour avoir quatre mille livres de rente en artichauts : certainement Boudet me rendra en artichauts ce qu’il m’a fait perdre en blé. Voilà mes quatre mille francs dépensés, et mes artichauts mangés par des rats de campagne. Je fus hué dans mon canton comme le diable de Papefiguière[1].

J’écrivais une lettre de reproche fulminante à Boudet. Pour toute réponse le traître s’égaya dans son Journal à mes dépens. Il me nia impudemment que les Caraïbes fussent nés rouges ; je fus obligé de lui envoyer une attestation d’un ancien procureur du roi de la Guadeloupe, comme quoi Dieu a fait les Caraïbes rouges ainsi que les Nègres noirs. Mais cette petite victoire ne m’empêcha pas de perdre jusqu’au dernier sou toute la succession de ma tante, pour avoir trop cru les nouveaux systèmes. Mon cher monsieur, encore une fois, gardez-vous des charlatans.


VI — NOUVELLES DOULEURS OCCASIONNÉES PAR LES NOUVEAUX SYSTÈMES.

(Ce petit morceau est tiré des manuscrits d’un vieux solitaire.)


Je vois que si de bons citoyens se sont amusés à gouverner les États, et à se mettre à la place des rois[2] ; si d’autres se sont crus des Triptolèmes et des Cérès, il y en a de plus fiers qui se sont mis sans façon à la place de Dieu, et qui ont créé l’univers avec leur plume, comme Dieu le créa autrefois par la parole.

Un des premiers qui se présenta à mes adorations fut un des-

  1. Voyez Pantagruel, livre IV, chapitre xlvi.
  2. Les économistes.