XIV. — LE BON SENS DE M. ANDRÉ.
Comme le bon sens de M. André s’est fortifié depuis qu’il a une bibliothèque ! Il vit avec les livres comme avec les hommes ; il choisit, et il n’est jamais la dupe des noms. Quel plaisir de s’instruire et d’agrandir son âme pour un écu, sans sortir de chez soi !
Il se félicite d’être né dans un temps où la raison humaine commence à se perfectionner. « Que je serais malheureux, dit-il, si l’âge où je vis était celui du jésuite Garasse, du jésuite Guignard, ou du docteur Boucher, du docteur Aubry[1], du docteur Guincestre[2], ou des gens qui condamnaient aux galères ceux qui écrivaient contre les catégories d’Aristote[3] ! »
La misère avait affaibli les ressorts de l’âme de M. André ; le bien-être leur a rendu leur élasticité. Il y a mille Andrés dans le monde auxquels il n’a manqué qu’un tour de roue de la fortune pour en faire des hommes d’un vrai mérite.
Il est aujourd’hui au fait de toutes les affaires de l’Europe, et surtout des progrès de l’esprit humain.
« Il me semble, me disait-il mardi dernier, que la Raison voyage à petites journées, du nord au midi, avec ses deux intimes amies, l’Expérience et la Tolérance. L’Agriculture et le Commerce l’accompagnent. Elle s’est présentée en Italie ; mais la Congrégation de l’Indice[4] l’a repoussée. Tout ce qu’elle a pu faire a été d’envoyer secrètement quelques-uns de ses facteurs, qui ne laissent pas de faire du bien. Encore quelques années, et le pays des Scipions ne sera plus celui des Arlequins enfroqués.
- ↑ Sur Garasse, voyez tome XVI, page 23 ; la scène ii de l’acte deuxième du Dépositaire ; dans les Mélanges, année 1764, le vingt-deuxième des Articles extraits de la Gazette littéraire ; et, année 1767, l’article Théophile, dans la septième des Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de *** ; — sur Guignard, voyez tome XII, page 557 ; — sur Boucher, voyez, tome VIII, une note du chant deuxième de la Henriade ; et tome XV, page 551 ; — sur Aubry, voyez tome XII, page 555.
- ↑ Jean Guincestre ou Wincestre, curé de Saint-Gervais, et ardent ligueur. Ce fut lui qui, le 1er janvier 1589, exigea des assistants à son sermon le serment de venger la mort des Guises, et apostropha le premier président de Harlay, assis dans l’œuvre, en ces termes : « Levez la main, monsieur le président ; levez-la bien haut, encore plus haut, afin que le peuple la voie, » ce que le président fut contraint de faire. (B.)
- ↑ En 1624, le parlement de Paris condamna au bannissement deux chimistes qui n’admettaient pas toutes les opinions d’Aristote ; voyez tome XVI, page 21.
- ↑ On dit plus communément Congrégation de l’Index.