Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/389

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de ce pays-là[1], qui lui donnent des vapeurs. On prétend qu’elle a un secret infaillible pour détacher les cordons d’une couronne qui sont embarrassés, je ne sais comment, dans ceux d’une tiare, et pour empêcher les haquenées d’aller faire la révérence aux mules. »

Enfin la conversation de M. André me réjouit beaucoup, et plus je le vois, plus je l’aime.


XV. — D’UN BON SOUPER CHEZ M. ANDRÉ.


Nous soupâmes hier ensemble avec un docteur de Sorbonne, M. Pinto, célèbre juif[2], le chapelain de la chapelle réformée de l’ambassadeur batave, le secrétaire de M. le prince Gallitzin[3], du rite grec, un capitaine suisse calviniste, deux philosophes, et trois dames d’esprit.

Le souper fut fort long, et cependant on ne disputa pas plus sur la religion que si aucun des convives n’en avait jamais eu : tant il faut avouer que nous sommes devenus polis ; tant on craint à souper de contrister ses frères ! Il n’en est pas ainsi du régent Cogé, et de l’ex-jésuite Nonotte, et de l’ex-jésuite Patouillet, et de l’ex-jésuite Rotalier[4], et de tous les animaux de cette espèce. Ces croquants-là vous disent plus de sottises dans une brochure de deux pages que la meilleure compagnie de Paris ne peut dire de choses agréables et instructives dans un souper de quatre heures ; et, ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’ils n’oseraient dire en face à personne ce qu’ils ont l’impudence d’imprimer.

La conversation roula d’abord sur une plaisanterie des Lettres persanes[5], dans laquelle on répète, d’après plusieurs graves personnages, que le monde va non-seulement en empirant, mais en se dépeuplant tous les jours ; de sorte que si le proverbe plus on est de fous, plus on rit a quelque vérité, le rire sera incessamment banni de la terre.

Le docteur de Sorbonne assura qu’en effet le monde était réduit presque à rien. Il cita le père Petau, qui démontre qu’en

  1. Sur la liquéfaction du sang de saint Janvier, voyez tome XIII, page 96.
  2. C’est celui qui défendit ses coreligionnaires accusés par Voltaire de rogner les espèces. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire à Pinto, en date du 21 juillet 1762.
  3. Représentant de la Russie à la cour de France.
  4. C’est probablement le docteur Riballier, que Voltaire désigne sous le nom de Rotalier. (B.)
  5. Lettre cxii.