comme des enfants déshérités qui font le compte du bien de leurs pères. On avoua que la philosophie avait fait de très-grands progrès ; mais que la langue et le style s’étaient un peu corrompus.
C’est le sort de toutes les conversations de passer d’un sujet à un autre. Tous ces objets de curiosité, de science, et de goût, disparurent bientôt devant le grand spectacle que l’impératrice de Russie et le roi de Pologne[1] donnaient au monde. Ils venaient de relever l’humanité écrasée, et d’établir la liberté de conscience dans une partie de la terre beaucoup plus vaste que ne le fut jamais l’empire romain. Ce service rendu au genre humain, cet exemple donné à tant de cours qui se croient politiques, fut célébré comme il devait l’être. On but à la santé de l’impératrice, du roi philosophe, et du primat philosophe, et on leur souhaita beaucoup d’imitateurs. Le docteur de Sorbonne même les admira : car il y a quelques gens de bon sens dans ce corps, comme il y eut autrefois des gens d’esprit chez les Béotiens.
Le secrétaire russe nous étonna par le récit de tous les grands établissements qu’on faisait en Russie. On demanda pourquoi on aimait mieux lire l’histoire de Charles XII, qui a passé sa vie à détruire, que celle de Pierre le Grand, qui a consumé la sienne à créer[2]. Nous conclûmes que la faiblesse et la frivolité sont la cause de cette préférence ; que Charles XII fut le don Quichotte du Nord, et que Pierre en fut le Solon ; que les esprits superficiels préfèrent l’héroïsme extravagant aux grandes vues d’un législateur ; que les détails de la fondation d’une ville leur plaisent moins que la témérité d’un homme qui brave dix mille Turcs avec ses seuls domestiques ; et qu’enfin la plupart des lecteurs aiment mieux s’amuser que de s’instruire. De là vient que cent femmes lisent les Mille et une Nuits contre une qui lit deux chapitres de Locke.
De quoi ne parla-t-on point dans ce repas, dont je me souviendrai longtemps ! Il fallut bien enfin dire un mot des acteurs et des actrices, sujet éternel des entretiens de table de Versailles et de Paris. On convint qu’un bon déclamateur était aussi rare qu’un bon poëte. Le souper finit par une chanson très-jolie qu’un des convives fit pour les dames. Pour moi, j’avoue que le banquet