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LA PRINCESSE DE BABYLONE.

atteintes, et qu’au galop dont elles allaient elles devaient faire cent lieues par jour.


CHAPITRE III.

BEAUX RAISONNEMENTS DE LA COUR DE BABYLONE ET DE LA PRINCESSE SUR LE DÉPART DU VAINQUEUR ET SUR SA CONDITION. L’ORACLE EST CONSULTÉ DE NOUVEAU SUR LE MARIAGE DE FORMOSANTE ; RÉPONSE AMBIGUË QU’IL FAIT.


Tout le monde raisonnait sur cette aventure étrange, et s’épuisait en vaines conjectures. Comment le fils d’un berger peut-il donner quarante gros diamants ? Pourquoi est-il monté sur une licorne ? On s’y perdait ; et Formosante, en caressant son oiseau, était plongée dans une rêverie profonde.

La princesse Aldée, sa cousine issue de germain, très-bien faite, et presque aussi belle que Formosante, lui dit : « Ma cousine, je ne sais pas si ce jeune demi-dieu est le fils d’un berger ; mais il me semble qu’il a rempli toutes les conditions attachées à votre mariage. Il a bandé l’arc de Nembrod, il a vaincu le lion, il a beaucoup d’esprit puisqu’il a fait pour vous un assez joli impromptu. Après les quarante énormes diamants qu’il vous a donnés, vous ne pouvez nier qu’il ne soit le plus généreux des hommes. Il possédait dans son oiseau ce qu’il y a de plus rare sur la terre. Sa vertu n’a point d’égale, puisque, pouvant demeurer auprès de vous, il est parti sans délibérer dès qu’il a su que son père était malade. L’oracle est accompli dans tous ses points, excepté dans celui qui exige qu’il terrasse ses rivaux ; mais il a fait plus, il a sauvé la vie du seul concurrent qu’il pouvait craindre ; et, quand il s’agira de battre les deux autres, je crois que vous ne doutez pas qu’il n’en vienne à bout aisément.

— Tout ce que vous dites est bien vrai, répondit Formosante ; mais est-il possible que le plus grand des hommes, et peut-être même le plus aimable, soit le fils d’un berger ? »

La dame d’honneur, se mêlant de la conversation, dit que très-souvent ce mot de berger était appliqué aux rois ; qu’on les appelait bergers, parce qu’ils tondent de fort près leur troupeau ; que c’était sans doute une mauvaise plaisanterie de son valet ; que ce jeune héros n’était venu si mal accompagné que pour faire voir combien son seul mérite était au-dessus du faste des rois, et pour ne devoir Formosante qu’à lui-même. La prin-