Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/411

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fureur de verser le sang de leurs frères, et de dévaster des plaines fertiles pour régner sur des cimetières. On employa six mois entiers à guérir le roi des Indes de sa maladie. Quand les médecins eurent enfin jugé qu’il avait le pouls plus tranquille et l’esprit plus rassis, ils en donnèrent le certificat au conseil des Gangarides. Ce conseil, ayant pris l’avis des licornes, renvoya humainement le roi des Indes, sa sotte cour, et ses imbéciles guerriers, dans leur pays. Cette leçon les rendit sages, et, depuis ce temps, les Indiens respectèrent les Gangarides, comme les ignorants qui voudraient s’instruire respectent parmi vous les philosophes chaldéens, qu’ils ne peuvent égaler.

— À propos, mon cher oiseau, lui dit la princesse, y a-t-il une religion chez les Gangarides ?

— S’il y en a une, madame ! nous nous assemblons pour rendre grâces à Dieu, les jours de la pleine lune, les hommes dans un grand temple de cèdre, les femmes dans un autre, de peur des distractions ; tous les oiseaux dans un bocage, les quadrupèdes sur une belle pelouse ; nous remercions Dieu de tous les biens qu’il nous a faits. Nous avons surtout des perroquets qui prêchent à merveille.

« Telle est la patrie de mon cher Amazan ; c’est là que je demeure ; j’ai autant d’amitié pour lui qu’il vous a inspiré d’amour. Si vous m’en croyez, nous partirons ensemble, et vous irez lui rendre sa visite.

— Vraiment, mon oiseau, vous faites là un joli métier, répondit en souriant la princesse, qui brûlait d’envie de faire le voyage, et qui n’osait le dire.

— Je sers mon ami, dit l’oiseau ; et, après le bonheur de vous aimer, le plus grand est celui de servir vos amours. »

Formosante ne savait plus où elle en était ; elle se croyait transportée hors de la terre. Tout ce qu’elle avait vu dans cette journée, tout ce qu’elle voyait, tout ce qu’elle entendait, et surtout ce qu’elle sentait dans son cœur, la plongeait dans un ravissement qui passait de bien loin celui qu’éprouvent aujourd’hui les fortunés musulmans quand, dégagés de leurs liens terrestres, ils se voient dans le neuvième ciel entre les bras de leurs houris, environnés et pénétrés de la gloire et de la félicité célestes.