Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/421

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Alors il demanda aux domestiques si on pouvait saluer madame sa mère. Ils répondirent que son mari était mort l’avant-veille, et qu’elle ne voyait personne. Le phénix, qui avait du crédit dans la maison, ne laissa pas de faire entrer la princesse de Babylone dans un salon dont les murs étaient revêtus de bois d’oranger à filets d’ivoire ; les sous-bergers et sous-bergères, en longues robes blanches, ceintes de garnitures aurore, lui servirent dans cent corbeilles de simple porcelaine cent mets délicieux, parmi lesquels on ne voyait aucun cadavre déguisé : c’était du riz, du sago, de la semoule, du vermicelle, des macaronis, des omelettes, des œufs au lait, des fromages à la crème, des pâtisseries de toute espèce, des légumes, des fruits d’un parfum et d’un goût dont on n’a point d’idée dans les autres climats ; c’était une profusion de liqueurs rafraîchissantes, supérieures aux meilleurs vins.

Pendant que la princesse mangeait, couchée sur un lit de roses, quatre pavons, ou paons, ou pans, heureusement muets, l’éventaient de leurs brillantes ailes ; deux cents oiseaux, cent bergers et cent bergères, lui donnèrent un concert à deux chœurs ; les rossignols, les serins, les fauvettes, les pinsons, chantaient le dessus avec les bergères ; les bergers faisaient la haute-contre et la basse : c’était en tout la belle et simple nature. La princesse avoua que, s’il y avait plus de magnificence à Babylone, la nature était mille fois plus agréable chez les Gangarides ; mais, pendant qu’on lui donnait cette musique si consolante et si voluptueuse, elle versait des larmes ; elle disait à la jeune Irla sa compagne : « Ces bergers et ces bergères, ces rossignols et ces serins font l’amour, et moi, je suis privée du héros gangaride, digne objet de mes très-tendres et très-impatients désirs. »

Pendant qu’elle faisait ainsi collation, qu’elle admirait et qu’elle pleurait, le phénix disait à la mère d’Amazan : « Madame, vous ne pouvez vous dispenser de voir la princesse de Babylone ; vous savez…

— Je sais tout, dit-elle, jusqu’à son aventure dans l’hôtellerie sur le chemin de Bassora ; un merle m’a tout conté ce matin ; et ce cruel merle est cause que mon fils, au désespoir, est devenu fou, et a quitté la maison paternelle.

— Vous ne savez donc pas, reprit le phénix, que la princesse m’a ressuscité ?

— Non, mon cher enfant ; je savais par le merle que vous étiez mort, et j’en étais inconsolable. J’étais si affligée de cette perte, de la mort de mon mari, et du départ précipité de mon fils, que j’avais fait défendre ma porte ; mais puisque la princesse de