Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/423

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mais dans quels moments, juste ciel ! dans le temps où mon fils pleurait avec moi la mort de son père et celle du phénix ; dans le temps qu’il apprenait de moi qu’il est votre cousin issu de germain !

— Ô ciel ! mon cousin ! madame, est-il possible ? par quelle aventure ? comment ? quoi ! je serais heureuse à ce point ! et je serais en même temps assez infortunée pour l’avoir offensé !


CHAPITRE XI.

SUITE DU PRÉCÉDENT. FORMOSANTES EST CONVAINCUE QUE SON AMANT EST SON COUSIN. TOUS LES MERLES SONT EXILÉS DES BORDS DU GANGE. ELLE PREND AUSSITÔT LA POSTE POUR LE REJOINDRE À LA CHINE.


— Mon fils est votre cousin, vous dis-je, reprit la mère, et je vais bientôt vous en donner la preuve ; mais en devenant ma parente vous m’arrachez mon fils ; il ne pourra survivre à la douleur que lui a causée votre baiser donné au roi d’Égypte.

— Ah ! ma tante, s’écria la belle Formosante, je jure par lui et par le puissant Orosmade que ce baiser funeste, loin d’être criminel, était la plus forte preuve d’amour que je pusse donner à votre fils. Je désobéissais à mon père pour lui. J’allais pour lui de l’Euphrate au Gange. Tombée entre les mains de l’indigne pharaon d’Égypte, je ne pouvais lui échapper qu’en le trompant. J’en atteste les cendres et l’âme du phénix, qui étaient alors dans ma poche ; il peut me rendre justice ; mais comment votre fils, né sur les bords du Gange, peut-il être mon cousin, moi dont la famille règne sur les bords de l’Euphrate depuis tant de siècles ?

— Vous savez, lui dit la vénérable Gangaride, que votre grand-oncle Aldée était roi de Babylone, et qu’il fut détrôné par le père de Bélus.

— Oui madame.

— Vous savez que son fils Aldée avait eu de son mariage la princesse Aldée, élevée dans votre cour. C’est ce prince, qui, étant persécuté par votre père, vint se réfugier dans notre heureuse contrée, sous un autre nom ; c’est lui qui m’épousa ; j’en ai eu le jeune prince Aldée-Amazan, le plus beau, le plus fort, le plus courageux, le plus vertueux des mortels, et aujourd’hui le plus fou. Il alla aux fêtes de Babylone sur la réputation de votre beauté : depuis ce temps-là il vous idolâtre, et peut-être je ne reverrai jamais mon cher fils. »

Alors elle fit déployer devant la princesse tous les titres de la