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CHAPITRE XIV.

AMAZAN PASSE EN SCANDINAVIE, EN SARMATIE. CE QU’IL VOIT DANS CES CONTRÉES, AINSI QU’EN GERMANIE. IL DONNE PARTOUT L’EXEMPLE DE LA FIDÉLITÉ.


Il était parti pour la Scandinavie[1]. Ce fut dans ces climats que des spectacles nouveaux frappèrent encore ses yeux. Ici la royauté et la liberté subsistaient ensemble par un accord qui paraît impossible dans d’autres États ; les agriculteurs avaient part à la législation, aussi bien que les grands du royaume ; et un jeune prince[2] donnait les plus grandes espérances d’être digne de commander à une nation libre. Là c’était quelque chose de plus étrange : le seul roi[3] qui fût despotique de droit sur la terre par un contrat formel avec son peuple était en même temps le plus jeune et le plus juste des rois.

Chez les Sarmates[4], Amazan vit un philosophe[5] sur le trône : on pouvait l’appeler le roi de l’anarchie, car il était le chef de cent mille petits rois dont un seul pouvait d’un mot anéantir les résolutions de tous les autres. Éole n’avait pas plus de peine à contenir tous les vents, qui se combattent sans cesse, que ce monarque n’en avait à concilier les esprits : c’était un pilote environné d’un éternel orage ; et cependant le vaisseau ne se brisait pas, car le prince était un excellent pilote.

En parcourant tous ces pays si différents de sa patrie, Amazan refusait constamment toutes les bonnes fortunes qui se présentaient à lui, toujours désespéré du baiser que Formosante avait donné au roi d’Égypte, toujours affermi dans son inconcevable résolution de donner à Formosante l’exemple d’une fidélité unique et inébranlable.

La princesse de Babylone avec le phénix le suivait partout à la piste, et ne le manquait jamais que d’un jour ou deux, sans que l’un se lassât de courir, et sans que l’autre perdît un moment à le suivre.

  1. La Suède.
  2. Le prince royal, qui, trois ans plus tard, fut Gustave III.
  3. Le roi de Danemark Christian VII.
  4. En Pologne.
  5. Stanislas Poniatowski, né en 1732, élu roi de Pologne en 1764. Ce fut sous son règne qu’eurent lieu (depuis la publication de la Princesse de Babylone) : en 1773, le démembrement, ou premier partage ; et vingt ans après, le second partage, ou anéantissement de la Pologne. Stanislas mourut en 1798.