Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/438

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« Voilà au vrai l’état où nous sommes. Je ne vous ai caché ni le bien, ni le mal, ni nos opprobres, ni notre gloire ; et je n’ai rien exagéré. »

Amazan, à ce discours, se sentit pénétré du désir de s’instruire dans ces sciences sublimes dont on lui parlait ; et si sa passion pour la princesse de Babylone, son respect filial pour sa mère, qu’il avait quittée, et l’amour de sa patrie, n’eussent fortement parlé à son cœur déchiré, il aurait voulu passer sa vie dans l’île d’Albion ; mais ce malheureux baiser donné par sa princesse au roi d’Égypte ne lui laissait pas assez de liberté dans l’esprit pour étudier les hautes sciences.

« Je vous avoue, dit-il, que m’ayant imposé la loi de courir le monde et de m’éviter moi-même, je serais curieux de voir cette antique terre de Saturne, ce peuple du Tibre et des sept montagnes à qui vous avez obéi autrefois ; il faut, sans doute, que ce soit le premier peuple de la terre.

— Je vous conseille de faire ce voyage, lui répondit l’Albionien, pour peu que vous aimiez la musique et la peinture. Nous allons très-souvent nous-mêmes porter quelquefois notre ennui vers les sept montagnes. Mais vous serez bien étonné en voyant les descendants de nos vainqueurs. »

Cette conversation fut longue. Quoique le bel Amazan eût la cervelle un peu attaquée, il parlait avec tant d’agréments, sa voix était si touchante, son maintien si noble et si doux, que la maîtresse de la maison ne put s’empêcher de l’entretenir à son tour tête à tête. Elle lui serra tendrement la main en lui parlant, et ne le regardant avec des yeux humides et étincelants qui portaient les désirs dans tous les ressorts de la vie. Elle le retint à souper et à coucher. Chaque instant, chaque parole, chaque regard, enflammèrent sa passion. Dès que tout le monde fut retiré, elle lui écrivit un petit billet, ne doutant pas qu’il ne vînt lui faire la cour dans son lit, tandis que milord Qu’importe dormait dans le sien. Amazan eut encore le courage de résister : tant un grain de folie produit d’effets miraculeux dans une âme forte et profondément blessée !

Amazan, selon sa coutume, fit à la dame une réponse respectueuse, par laquelle il lui représentait la sainteté de son serment, et l’obligation étroite où il était d’apprendre à la princesse de Babylone à dompter ses passions ; après quoi il fit atteler ses licornes, et repartit pour la Batavie, laissant toute la compagnie émerveillée de lui, et la dame du logis désespérée. Dans l’excès de sa douleur, elle laissa traîner la lettre d’Amazan ; milord Qu’im-