TROISIÈME LETTRE
D’AMABED À SHASTASID.
Béni soit à jamais Birma, qui a fait l’homme pour la femme ! Sois béni, ô cher Shastasid, qui t’intéresses tant à mon bonheur ! Charme des yeux est à moi ; je l’ai épousée. Je ne touche plus à la terre ; je suis dans le ciel : il n’a manqué que toi à cette divine cérémonie. Le docteur Fa tutto a été témoin de nos saints engagements ; et, quoiqu’il ne soit pas de notre religion, il n’a fait nulle difficulté d’écouter nos chants et nos prières ; il a été fort gai au festin des noces. Je succombe à ma félicité. Tu jouis d’un autre bonheur : tu possèdes la sagesse ; mais l’incomparable Adaté me possède. Vis longtemps heureux, sans passions, tandis que la mienne m’absorbe dans une mer de voluptés. Je ne puis t’en dire davantage : je revole dans les bras d’Adaté.
QUATRIÈME LETTRE
D’AMABED À SHASTASID.
Cher ami, cher père, nous partons, la tendre Adaté et moi, pour te demander ta bénédiction. Notre félicité serait imparfaite si nous ne remplissions pas ce devoir de nos cœurs ; mais, le croirais-tu ? nous passons par Goa, dans la compagnie de Coursom, le célèbre marchand, et de sa femme. Fa tutto dit que Goa est devenue la plus belle ville de l’Inde ; que le grand Albuquerque nous recevra comme des ambassadeurs ; qu’il nous donnera un vaisseau à trois voiles pour nous conduire à Maduré[1]. Il a persuadé ma femme, et j’ai voulu le voyage dès qu’elle l’a voulu. Fa tutto nous assure qu’on parle italien plus que portugais à Goa. Charme des yeux brûle d’envie de faire usage d’une langue qu’elle vient d’apprendre : je partage tous ses goûts. On dit qu’il y a des gens qui ont eu deux volontés ; mais Adaté et moi nous n’en avons qu’une, parce que nous n’avons qu’une âme à nous deux. Enfin nous partons demain avec la douce espérance de verser dans tes bras, avant deux mois, des larmes de tendresse et de joie.
- ↑ Ville située au sud de la presqu’île de l’Inde.