Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/47

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manque à ma félicité que d’être sentie par celle qui la cause ; pendant que je suis dans ton paradis, divin prophète, accorde-moi encore une faveur, c’est d’être aux yeux de Mélinade ce qu’elle serait à mon œil s’il faisait jour ; » il finit de prier, et continua de jouir. L’aurore, toujours trop diligente pour les amants, surprit Mesrour et Mélinade dans l’attitude où elle aurait pu être surprise elle-même un moment auparavant avec Tithon ; mais quel fut l’étonnement de Mélinade quand, ouvrant les yeux aux premiers rayons du jour, elle se vit dans un lieu enchanté, avec un jeune homme d’une taille noble, dont le visage ressemblait à l’astre dont la terre attendait le retour ! Il avait des joues de rose, des lèvres de corail ; ses grands yeux tendres et vifs tout à la fois exprimaient et inspiraient la volupté[1] ; son carquois d’or, orné de pierreries, était suspendu à ses épaules, et le plaisir faisait seul sonner ses flèches ; sa longue chevelure, retenue par une attache de diamants, flottait librement sur ses reins, et une étoffe transparente, brodée de perles, lui servait d’habillement, et ne cachait rien de la beauté de son corps.

« Où suis-je, et qui êtes-vous ? s’écria Mélinade dans l’excès de sa surprise. — Vous êtes, répondit-il, avec le misérable qui a eu le bonheur de vous sauver la vie et qui s’est si bien payé de ses peines. »

Mélinade, aussi aise qu’étonnée, regretta que la métamorphose de Mesrour n’eût pas commencé plus tôt. Elle s’approche d’un palais brillant qui frappait sa vue, et lit cette inscription sur la porte : « Éloignez-vous, profanes ; ces portes ne s’ouvriront que pour le maître de l’anneau. »

  1. On lit dans l’édition de 1774 :

    « Exprimaient et inspiraient le sentiment le plus doux. Son carquois d’or était suspendu à ses épaules, et ses flèches paraissaient autant de traits vainqueurs. Sa longue chevelure, retenue par une attache de diamants, flottait au gré des zéphyrs, et une étoffe transparente, brodée de perles, lui servait d’habillement.

    « Où suis-je, et qui êtes-vous  ? s’écria Mélinade dans l’excès de sa surprise. — Vous êtes, répondit le beau jeune homme, avec le misérable qui a eu le bonheur de vous sauver la vie, et qui n’a eu pour récompense que le plaisir de coucher sur la terre humide auprès de vous, tandis que vous dormiez sans vous embarrasser de son sort. »

    « Mélinade, de plus en plus étonnée, fut pourtant bien aise de la métamorphose du borgne, et sa reconnaissance la fit remercier les dieux des dons qu’ils avaient faits à Mesrour. La princesse avançait toujours pour voir quelle serait la fin de cet enchantement, et de temps en temps jetait un coup d’œil à la dérobée sur son conducteur, qui, n’étant plus borgne, voyait des deux yeux les tendres regards de Mélinade.

    « Ils approchent tous deux d’un palais brillant : la princesse y lit, etc. »