Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/490

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NEUVIÈME LETTRE
D’AMABED.


Rien de nouveau ; tout l’équipage est silencieux et morne comme le capitaine. Tu connais le proverbe indien : Tout se conforme aux mœurs du maître. Nous avons passé une mer qui n’a que neuf mille pas de large entre deux montagnes ; nous sommes entrés dans une autre mer semée d’îles. Il y en a une fort singulière[1] : elle est gouvernée par des religieux chrétiens qui portent un habit court et un chapeau, et qui font vœu de tuer tous ceux qui portent un bonnet et une robe. Ils doivent aussi faire l’oraison. Nous avons mouillé dans une île plus grande et fort jolie, qu’on nomme Sicile ; elle était bien plus belle autrefois : on parle de villes admirables dont on ne voit plus que les ruines. Elle fut habitée par des dieux, des déesses, des géants, des héros ; on y forgeait la foudre. Une déesse nommée Cérès la couvrit de riches moissons. Le vice-dieu a changé tout cela ; on y voit beaucoup de processions et de coupeurs de bourse.


DIXIÈME LETTRE
D’AMABED.


Enfin nous voici sur la terre sacrée du vice-dieu. J’avais lu dans le livre de l’aumônier que ce pays était d’or et d’azur ; que les murailles étaient d’émeraudes et de rubis ; que les ruisseaux étaient d’huile ; les fontaines, de lait ; les campagnes couvertes de vignes dont chaque cep produisait cent tonneaux de vin[2]. Peut-être trouverons-nous tout cela quand nous serons auprès de Roume.

Nous avons abordé avec beaucoup de peine dans un petit port fort incommode, qu’on appelle la cité vieille[3]. Elle tombe en ruines, et est fort bien nommée.

  1. L’île de Malte, d’où les chevaliers tiraient leur nom. L’existence politique de ces religieux prit fin en 1798.
  2. Il veut apparemment parler de la sainte Jérusalem décrite dans le livre exact de l’Apocalypse, dans Justin, dans Tertullien, Irénée, et autres grands personnages ; mais on voit bien que ce pauvre brame n’en avait qu’une idée très-imparfaite. (Note de Voltaire.)
  3. Civita-Vecchia.