Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/500

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Les festins, les bals, les belles cérémonies de la religion, les danseurs de corde se sont succédé tour à tour sans interruption. Les bals surtout sont fort plaisants. Chaque personne invitée au bal met un habit étranger et un visage de carton par-dessus le sien. On tient sous ce déguisement des propos à faire éclater de rire. Pendant les repas il y a toujours une musique très-agréable ; enfin c’est un enchantement.

On m’a conté qu’un vice-dieu prédécesseur de Leone, nommé Alexandre, sixième du nom, avait donné aux noces d’une de ses bâtardes une fête bien plus extraordinaire. Il y fit danser cinquante filles toutes nues[1]. Les brachmanes n’ont jamais institué de pareilles danses : tu vois que chaque pays a ses coutumes. Je t’embrasse avec respect, et je te quitte pour aller danser avec ma belle Adaté. Que Birma te comble de bénédictions.


DIX-SEPTIÈME LETTRE
D’AMABED.


Vraiment, mon grand brame, tous les vice-dieu n’ont pas été si plaisants que celui-ci. C’est un plaisir de vivre sous sa domination. Le défunt, nommé Jules, était d’un caractère différent ; c’était un vieux soldat turbulent qui aimait la guerre comme un fou ; toujours à cheval, toujours le casque en tête, distribuant des bénédictions et des coups de sabre, attaquant tous ses voisins, damnant leurs âmes et tuant leurs corps autant qu’il le pouvait : il est mort d’un accès de colère. Quel diable de vice-dieu on avait là ! Croirais-tu bien qu’avec un morceau de papier il s’imaginait dépouiller les rois de leurs royaumes ? Il s’avisa de détrôner de cette manière le roi d’un pays assez beau, qu’on appelle la France. Ce roi était un fort bon homme : il passe ici pour un sot, parce qu’il n’a pas été heureux. Ce pauvre prince fut obligé d’assembler un jour les plus savants hommes de son royaume[2] pour leur demander s’il lui était permis de se défendre

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1768, l’opuscule intitulé les Droits des hommes, etc. ; et tome XII, page 183.
  2. Le pape Jules II excommunia le roi de France Louix XII, en 1510. Il mit le royaume de France en interdit, et le donna au premier qui voudrait s’en saisir. Cette excommunication et cette interdiction furent réitérées en 1512. On a peine à concevoir aujourd’hui cet excès d’insolence et de ridicule. Mais depuis Grégoire VII, il n’y eut presque aucun évêque de Rome qui ne fît ou ne voulût faire