Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/502

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Il nous a fait mettre à genoux trois fois. Le vice-dieu nous a fait baiser son pied droit en se tenant les côtés de rire. Il nous a demandé si le P. Fa tutto nous avait convertis, et si en effet nous étions chrétiens. Ma femme a répondu que le P. Fa tutto était un insolent ; et le pape s’est mis à rire encore plus fort. Il a donné deux baisers à ma femme et à moi aussi.

Ensuite il nous a fait asseoir à côté de son petit lit de baise-pieds. Il nous a demandé comment on faisait l’amour à Bénarès, à quel âge on mariait communément les filles, si le grand Brama avait un sérail. Ma femme rougissait ; je répondais avec une modestie respectueuse : ensuite il nous a congédiés, en nous recommandant le christianisme, en nous embrassant, et en nous donnant de petites claques sur les fesses en signe de bonté. Nous avons rencontré en sortant les Pères Fa tutto et Fa molto, qui nous ont baisé le bas de la robe. Le premier moment, qui commande toujours à l’âme, nous a fait d’abord reculer avec horreur, ma femme et moi ; mais le violet nous a dit : « Vous n’êtes pas encore entièrement formés ; ne manquez pas de faire mille caresses à ces bons Pères : c’est un devoir essentiel dans ce pays-ci d’embrasser ses plus grands ennemis ; vous les ferez empoisonner, si vous pouvez, à la première occasion ; mais, en attendant, vous ne pouvez leur marquer trop d’amitié. » Je les embrassai donc, mais Charme des yeux leur fit une révérence fort sèche, et Fa tutto la lorgnait du coin de l’œil en s’inclinant jusqu’à terre devant elle. Tout ceci est un enchantement ; nous passons nos jours à nous étonner. En vérité je doute que Maduré soit plus agréable que Roume.


DIX-NEUVIÈME LETTRE
D’AMABED.


Point de justice du P. Fa tutto. Hier notre jeune Déra s’avisa d’aller le matin, par curiosité, dans un petit temple. Le peuple était à genoux ; un brame du pays, vêtu magnifiquement, se courbait sur une table ; il tournait le derrière au peuple. On dit qu’il faisait Dieu. Dès qu’il eut fait Dieu, il se montra par-devant. Déra fit un cri, et dit : « Voilà le coquin qui m’a violée ! » Heureusement, dans l’excès de sa douleur et de sa surprise, elle prononça ces paroles en indien. On m’assure que si le peuple les avait comprises, la canaille se serait jetée sur elle comme sur une sorcière. Fa tutto lui répondit en italien : « Ma fille, la grâce de