Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/565

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de Dieu. Juger quels ravages le Coheleth mal entendu, et Wirburton[1] et Needham bien entendus, peuvent faire dans de jeunes cœurs tout pétris de passions, et qui ne raisonnent que d’après elles.

Mais, ce qu’il y avait de pis, c’est que Jenni avait des dettes par-dessus les oreilles ; il les payait d’une étrange façon. Un de ses créanciers était venu le jour même lui demander cent guinées pendant que nous étions en parlement. Le beau Jenni, qui jusque-là paraissait très-doux et très-poli, s’était battu avec lui, et lui avait donné pour tout paiement un bon coup d’épée. On craignait que le blessé n’en mourût : Jenni allait être mis en prison et risquait d’être pendu, malgré la protection de milord Peterborough.


CHAPITRE V.

ON VEUT MARIER JENNI.


Il nous souvient, mon cher ami, de la douleur et de l’indignation qu’avait ressenties le vénérable Freind quand il apprit que son cher Jenni était à Barcelone dans les prisons du saint-office ; croyez qu’il fut saisi d’un plus violent transport en apprenant les déportements de ce malheureux enfant, ses débauches, ses dissipations, sa manière de payer ses créanciers, et son danger d’être pendu. Mais Freind se contint. C’est une chose étonnante que l’empire de cet excellent homme sur lui-même. Sa raison commande à son cœur, comme un bon maître à un bon domestique. Il fait tout à propos, et agit prudemment avec autant de célérité que les imprudents se déterminent. « Il n’est pas temps, dit-il, de prêcher Jenni ; il faut le tirer du précipice. »

Vous saurez que notre ami avait touché la veille une très-grosse somme de la succession de George Hubert, son oncle. Il va chercher lui-même notre grand chirurgien Cheselden[2]. Nous le trouvons heureusement, nous allons ensemble chez le créancier blessé. M. Freind fait visiter sa plaie, elle n’était pas mortelle.

  1. Warburton, évêque de Glocester, auteur d’un livre intitulé la Légation de Moïse : il en est beaucoup question dans plusieurs ouvrages de M. de Voltaire, contre qui Warburton a écrit avec ce ton de supériorité que les érudits, qui ne savent que ce qu’ont pensé les autres, ne manquent jamais de prendre avec les hommes de génie. (K.)
  2. Voyez ce que Voltaire dit du Cheselden, tomes XVIII, page 404 ; XX, page 504 ; et dans le tome XIV, le chapitre xxxiii du Siècle de Louis XIV.