Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/582

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tous les hommes réunis de produire un brin de paille si le germe n’est pas dans la terre ; il ne faut pas dire que les germes pourrissent pour produire[1], car ces bêtises ne se disent plus.


L’assemblée sentit la vérité de ces preuves plus vivement que tout le reste, parce qu’elles étaient plus palpables. Birton disait entre ses dents : « Faudra-t-il se soumettre à reconnaître un dieu ? Nous verrons cela, pardieu ! c’est une affaire à examiner. » Jenni rêvait toujours profondément, et était touché, et notre Freind acheva sa phrase :


Non, mes amis, nous ne faisons rien ; nous ne pouvons rien faire : il nous est donné d’arranger, d’unir, de désunir, de nombrer, de peser, de mesurer ; mais faire ! quel mot ! Il n’y a que l’Être nécessaire, l’Être existant éternellement par lui-même, qui fasse : voilà pourquoi les charlatans qui travaillent à la pierre philosophale sont de si grands imbéciles, ou de si grands fripons. Ils se vantent de créer de l’or, et ils ne pourraient pas créer de la crotte.

Avouons donc, mes amis, qu’il est un Être suprême, nécessaire, incompréhensible, qui nous a faits.

BIRTON.

Et où est-il, cet Être ? S’il y en a un, pourquoi se cache-t-il ? Quelqu’un l’a-t-il jamais vu ? Doit-on se cacher quand on a fait du bien ?

FREIND.

Avez-vous jamais vu Christophe Wren, qui a bâti Saint-Paul de Londres ? Cependant il est démontré que cet édifice est l’ouvrage d’un architecte très-habile.

BIRTON.

Tout le monde conçoit aisément que Wren a bâti avec beaucoup d’argent ce vaste édifice, où Burgess nous endort quand il prêche. Nous savons bien pourquoi et comment nos pères ont élevé ce bâtiment ; mais pourquoi et comment un dieu aurait-il créé de rien cet univers ? Vous savez l’ancienne maxime de toute l’antiquité : Rien ne peut rien créer, rien ne retourne à rien[2]. C’est

  1. C’est ce que disent, saint Paul dans son Épître aux Corinthiens, xv, 36, et saint Jean, xii, 24.
  2. C’est le vers de Perse, iii, 84 :
    Ex nihilo, nihil, in nihilum nil posso reverti ;
    qui est le résumé de la doctrine de Lucrèce.