Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/592

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ils sont son ouvrage ; il est le maître de tout ; il fait tout, il dirige la main de Cromwell qui signe la mort de Charles Ier ; il conduit le bras du bourreau qui lui tranche la tête : non, je ne puis admettre un Dieu homicide.

FREIND.

Ni moi non plus. Écoutez, je vous prie ; vous conviendrez avec moi que Dieu gouverne le monde par des lois générales. Selon ces lois, Cromwell, monstre de fanatisme et d’hypocrisie, résolut la mort de Charles Ier pour son intérêt, que tous les hommes aiment nécessairement et qu’ils n’entendent pas tous également. Selon les lois du mouvement établies par Dieu même, le bourreau coupa la tête de ce roi ; mais certainement Dieu n’assassina pas Charles Ier par un acte particulier de sa volonté. Dieu ne fut ni Cromwell, ni Jeffreys, ni Ravaillac, ni Balthazar Gérard, ni le frère prêcheur Jacques Clément. Dieu ne commet, ni n’ordonne, ni ne permet le crime ; mais il a fait l’homme, et il a fait les lois du mouvement ; ces lois éternelles du mouvement sont également exécutées par la main de l’homme charitable, qui secourt le pauvre, et par la main du scélérat, qui égorge son frère. De même que Dieu n’éteignit point son soleil et n’engloutit point l’Espagne sous la mer pour punir Cortez, Almagro et Pizzaro, qui avaient inondé de sang humain la moitié d’un hémisphère, de même aussi il n’envoie point une troupe d’anges à Londres, et ne fait point descendre du ciel cent mille tonneaux de vin de Bourgogne, pour faire plaisir à ses chers Anglais quand ils ont fait une bonne action. Sa providence générale serait ridicule si elle descendait dans chaque moment à chaque individu ; et cette vérité est si palpable que jamais Dieu ne punit sur-le-champ un criminel par un coup éclatant de sa toute-puissance : il laisse luire son soleil sur les bons et sur les méchants. Si quelques scélérats sont morts immédiatement après leurs crimes, ils sont morts par les lois générales qui président au monde. J’ai lu dans le gros livre d’un frenchman nommé Mézeray que Dieu avait fait mourir notre grand Henri V de la fistule à l’anus parce qu’il avait osé s’asseoir sur le trône du roi très-chrétien ; non, il mourut parce que les lois générales émanées de la toute-puissance avaient tellement arrangé la matière que la fistule à l’anus devait terminer la vie de ce héros. Tout le physique d’une mauvaise action est l’effet des lois générales imprimées par la main de Dieu à la matière ; tout le mal moral de l’action criminelle est l’effet de la liberté dont l’homme abuse.

Enfin, sans nous plonger dans les brouillards de la méta-