Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/595

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BIRTON.

Eh bien, soit ! il y a un Dieu, je vous l’accorde ; mais qu’importe à vous et à moi ? Qu’y a-t-il entre l’Être infini et nous autres vers de terre ? Quel rapport peut-il exister de son essence à la nôtre ? Épicure, en admettant des dieux dans les planètes, avait bien raison d’enseigner qu’ils ne se mêlaient nullement de nos sottises et de nos horreurs ; que nous ne pouvions ni les offenser ni leur plaire ; qu’ils n’avaient nul besoin de nous, ni nous d’eux : vous admettez un Dieu plus digne de l’esprit humain que les dieux d’Épicure et que tous ceux des Orientaux et des Occidentaux. Mais si vous disiez, comme tant d’autres, que ce Dieu a formé le monde et nous pour sa gloire ; qu’il exigea autrefois des sacrifices de bœufs pour sa gloire ; qu’il apparut, pour sa gloire, sous notre forme de bipèdes, etc. ; vous diriez, ce me semble, une chose absurde, qui ferait rire tous les gens qui pensent. L’amour de la gloire n’est autre chose que de l’orgueil, et l’orgueil n’est que de la vanité ; un orgueilleux est un fat que Shakespeare jouait sur son théâtre : cette épithète ne peut pas plus convenir à Dieu que celle d’injuste, de cruel, d’inconstant. Si Dieu a daigné faire, ou plutôt arranger l’univers, ce ne doit être que dans la vue d’y faire des heureux. Je vous laisse à penser s’il est venu à bout de ce dessein, le seul pourtant qui pût convenir à la nature divine.

FREIND.

Oui, sans doute, il y a réussi avec toutes les âmes honnêtes : elles seront heureuses un jour, si elles ne le sont pas aujourd’hui.

BIRTON.

Heureuse ! quel rêve ! quel conte de Peau d’âne ! où ? quand ? comment ? qui vous l’a dit ?

FREIND.

Sa justice.

BIRTON.

N’allez-vous pas me dire, après tant de déclamateurs, que nous vivrons éternellement quand nous ne serons plus ; que nous possédons une âme immortelle, ou plutôt qu’elle nous possède, après nous avoir avoué que les Juifs eux-mêmes, les Juifs, auxquels vous vous vantez d’avoir été subrogés, n’ont jamais soupçonné seulement cette immortalité de l’âme jusqu’au temps d’Hérode ? Cette idée d’une âme immortelle avait été inventée par les brachmanes, adoptée par les Perses, les Chaldéens, les Grecs, ignorée très-longtemps de la malheureuse petite horde judaïque, mère des plus infâmes superstitions. Hélas ! monsieur, savons-nous seulement si nous avons une âme ? Savons-nous si les ani-