Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/597

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BIRTON.

Cette maxime est admirable ; c’est sans doute ce qu’on a jamais dit de plus beau, c’est-à-dire de plus utile en morale ; et cela me ferait presque penser que Dieu a suscité de temps en temps des sages qui ont enseigné la vertu aux hommes égarés. Je vous demande pardon d’avoir raillé de la vertu.

FREIND.

Demandez-en pardon à l’Être éternel, qui peut la récompenser éternellement, et punir les transgresseurs.

BIRTON.

Quoi ! Dieu me punirait éternellement de m’être livré à des passions qu’il m’a données !

FREIND.

Il vous a donné des passions avec lesquelles on peut faire du bien et du mal. Je ne vous dis pas qu’il vous punira à jamais, ni comment il vous punira, car personne n’en peut rien savoir ; je vous dis qu’il le peut. Les brachmanes furent les premiers qui imaginèrent une prison éternelle pour les substances célestes qui s’étaient révoltées contre Dieu dans son propre palais : il les enferma dans une espèce d’enfer qu’ils appelaient ondera : mais, au bout de quelques milliers de siècles, il adoucit leurs peines, les mit sur la terre, et les fit hommes ; c’est de là que vint notre mélange de vices et de vertus, de plaisirs et de calamités. Cette imagination est ingénieuse ; la fable de Pandore et de Prométhée l’est encore davantage. Des nations grossières ont imité grossièrement la belle fable de Pandore ; ces inventions sont des rêves de la philosophie orientale ; tout ce que je puis vous dire, c’est que, si vous avez commis des crimes en abusant de votre liberté, il vous est impossible de prouver que Dieu soit incapable de vous en punir : je vous en défie.

BIRTON.

Attendez ; vous pensez que je ne peux pas vous démontrer qu’il est impossible au grand Être de me punir : par ma foi, vous avez raison ; j’ai fait ce que j’ai pu pour me prouver que cela était impossible, et je n’en suis jamais venu à bout. J’avoue que j’ai abusé de ma liberté, et que Dieu peut m’en châtier ; mais, pardieu ! je ne serai pas puni quand je ne serai plus.

FREIND.

Le meilleur parti que vous ayez à prendre est d’être honnête homme tandis que vous existez.

BIRTON.

D’être honnête homme pendant que j’existe ?… oui, je l’avoue ; oui, vous avez raison : c’est le parti qu’il faut prendre.