Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/602

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famille de Parouba : nos adieux furent mêlés de larmes sincères ; Birton et ses camarades, qui n’avaient jamais été qu’évaporés, semblaient déjà raisonnables.

Nous étions en pleine mer quand Freind dit à Jenni en ma présence : « Eh bien ! mon fils, le souvenir de la belle, de la vertueuse et tendre Primerose vous est donc toujours cher ? » Jenni se désespéra à ces paroles ; les traits d’un repentir inutile et éternel perçaient son cœur, et je craignis qu’il ne se précipitât dans la mer. « Eh bien ! lui dit Freind, consolez-vous ; Primerose est vivante, et elle vous aime. »

Freind en effet en avait reçu des nouvelles sûres de ce domestique affidé, qui lui écrivait par tous les vaisseaux qui partaient pour le Maryland. M. Mead[1], qui a depuis acquis une si grande réputation pour la connaissance de tous les poisons, avait été assez heureux pour tirer Primerose des bras de la mort. M. Freind fit voir à son fils cette lettre qu’il avait relue tant de fois, et avec tant d’attendrissement.

Jenni passa en un moment de l’excès du désespoir à celui de la félicité. Je ne vous peindrai point les effets de ce changement si subit : plus j’en suis saisi, moins je puis les exprimer ; ce fut le plus beau moment de la vie de Jenni. Birton et ses camarades partagèrent une joie si pure. Que vous dirai-je enfin ? l’excellent Freind leur a servi de père à tous ; les noces du beau Jenni et de la belle Primerose se sont faites chez le docteur Mead ; nous avons marié aussi Birton, qui était tout changé. Jenni et lui sont aujourd’hui les plus honnêtes gens de l’Angleterre. Vous conviendrez qu’un sage peut guérir des fous.

FIN DE L’HISTOIRE DE JENNI.
  1. Né en 1673, mort en 1754. Il pratiqua l’un des premiers l’inoculation de la petite vérole, et est auteur d’un Mechanical Account of poisons, 1702.