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CHAPITRE VII.

« J’ai toujours observé que toutes les affaires de ce monde dépendaient de l’opinion et de la volonté d’un principal personnage, soit roi, soit premier ministre, soit premier commis : or cette opinion et cette volonté sont l’effet immédiat de la manière dont les esprits animaux se filtrent dans le cervelet, et de là dans la moelle allongée : ces esprits animaux dépendent de la circulation du sang ; ce sang dépend de la formation du chyle ; ce chyle s’élabore dans le réseau du mésentère ; ce mésentère est attaché aux intestins par des filets très-déliés ; ces intestins, s’il m’est permis de le dire, sont remplis de merde : or, malgré les trois fortes tuniques dont chaque intestin est vêtu, il est percé comme un crible ; car tout est à jour dans la nature, et il n’y a grain de sable si imperceptible qui n’ait plus de cinq cents pores. On ferait passer mille aiguilles à travers un boulet de canon si on en trouvait d’assez fines et d’assez fortes. Qu’arrive-t-il donc à un homme constipé ? Les éléments les plus ténus, les plus délicats de sa merde se mêlent au chyle dans les veines d’Azellius, vont à la veine-porte et dans le réservoir de Pecquet ; elles passent dans la sous-clavière ; elles entrent dans le cœur de l’homme le plus galant, de la femme la plus coquette. C’est une rosée d’étron desséché qui court dans tout son corps. Si cette rosée inonde les parenchymes, les vaisseaux et les glandes d’un atrabilaire, sa mauvaise humeur devient férocité ; le blanc de ses yeux est d’un sombre ardent ; ses lèvres sont collées l’une sur l’autre ; la couleur de son visage a des teintes brouillées ; il semble qu’il vous menace : ne l’approchez pas, et, si c’est un ministre d’État, gardez-vous de lui présenter une requête ; il ne regarde tout papier que comme un secours dont il voudrait bien se servir selon l’ancien et abominable usage des gens d’Europe. Informez-vous adroitement de son valet de chambre favori si monseigneur a poussé sa selle le matin.

« Ceci est plus important qu’on ne pense. La constipation a produit quelquefois les scènes les plus sanglantes. Mon grand-père, qui est mort centenaire, était apothicaire de Cromwell ; il m’a conté souvent que Cromwell n’avait pas été à la garde-robe depuis huit jours lorsqu’il fit couper la tête à son roi.

« Tous les gens un peu instruits des affaires du continent savent que l’on avertit souvent le duc de Guise le Balafré de ne pas fâcher Henri III en hiver pendant un vent de nord-est. Ce monarque n’allait alors à la garde-robe qu’avec une difficulté extrême. Ses matières lui montaient à la tête ; il était capable, dans ces temps-là, de toutes les violences. Le duc de Guise ne