Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/91

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titres de ce pontife), je viens vous confier mes scrupules. J’ai bien peur d’avoir commis un péché énorme, en ne me brûlant pas dans le bûcher de mon cher mari. En effet qu’avais-je à conserver ? une chair périssable, et qui est déjà toute flétrie. » En disant ces paroles, elle tira de ses longues manches de soie ses bras nus, d’une forme admirable et d’une blancheur éblouissante. « Vous voyez, dit-elle, le peu que cela vaut. » Le pontife trouva dans son cœur que cela valait beaucoup. Ses yeux le dirent, et sa bouche le confirma : il jura qu’il n’avait vu de sa vie de si beaux bras. « Hélas ! lui dit la veuve, les bras peuvent être un peu moins mal que le reste ; mais vous m’avouerez que la gorge n’était pas digne de mes attentions. » Alors elle laissa voir le sein le plus charmant que la nature eût jamais formé. Un bouton de rose sur une pomme d’ivoire n’eût paru auprès que de la garance sur du buis, et les agneaux sortant du lavoir auraient semblé d’un jaune brun. Cette gorge, ses grands yeux noirs qui languissaient en brillant doucement d’un feu tendre, ses joues animées de la plus belle pourpre mêlée au blanc de lait le plus pur ; son nez, qui n’était pas comme la tour du mont Liban ; ses lèvres, qui étaient comme deux bordures de corail renfermant les plus belles perles de la mer d’Arabie, tout cela ensemble fit croire au vieillard qu’il avait vingt ans. Il fit en bégayant une déclaration tendre. Almona, le voyant enflammé, lui demanda la grâce de Zadig. « Hélas ! dit-il, ma belle dame, quand je vous accorderais sa grâce, mon indulgence ne servirait de rien ; il faut qu’elle soit signée de trois autres de mes confrères. — Signez toujours, dit Almona. — Volontiers, dit le prêtre, à condition que vos faveurs seront le prix de ma facilité. — Vous me faites trop d’honneur, dit Almona ; ayez seulement pour agréable de venir dans ma chambre après que le soleil sera couché, et dès que la brillante étoile Sheat sera sur l’horizon, vous me trouverez sur un sofa couleur de rose, et vous en userez comme vous pourrez avec votre servante. » Elle sortit alors, emportant avec elle la signature, et laissa le vieillard plein d’amour et de défiance de ses forces. Il employa le reste du jour à se baigner ; il but une liqueur composée de la cannelle de Ceylan, et des précieuses épices de Tidor et de Ternate, et attendit avec impatience que l’étoile Sheat vînt à paraître.

Cependant la belle Almona alla trouver le second pontife. Celui-ci l’assura que le soleil, la lune, et tous les feux du firmament, n’étaient que des feux follets en comparaison de ses charmes. Elle lui demanda la même grâce, et on lui proposa d’en donner le prix. Elle se laissa vaincre, et donna rendez-vous au second