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VIE DE MOLIÈRE.

honorable. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince et au comédien.

Après avoir couru quelque temps toutes les provinces, et avoir joué à Grenoble, à Lyon, à Rouen, il vint enfin à Paris en 1658. Le prince de Conti lui donna accès auprès de Monsieur, frère unique du roi Louis XIV ; Monsieur le présenta au roi et à la reine mère. Sa troupe et lui représentèrent la même année, devant Leurs Majestés, la tragédie de Nicomède, sur un théâtre élevé par ordre du roi dans la salle des gardes du vieux Louvre.

Il y avait depuis quelques temps des comédiens établis à l’hôtel de Bourgogne. Ces comédiens assistèrent au début de la nouvelle troupe. Molière, après la représentation de Nicomède, s’avança sur le bord du théâtre, et prit la liberté de faire au roi un discours par lequel il remerciait Sa Majesté de son indulgence, et louait adroitement les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, dont il devait craindre la jalousie : il finit en demandant la permission de donner une pièce d’un acte qu’il avait jouée en province.

La mode de représenter ces petites farces après de grandes pièces était perdue à l’hôtel de Bourgogne. Le roi agréa l’offre de Molière, et l’on joua dans l’instant le Docteur amoureux. Depuis ce temps, l’usage a toujours continué de donner de ces pièces d’un acte ou de trois après les pièces de cinq.

On permit à la troupe de Molière de s’établir à Paris ; ils s’y fixèrent, et partagèrent le théâtre du Petit-Bourbon avec les comédiens italiens, qui en étaient en possession depuis quelques années.

La troupe de Molière jouait sur ce théâtre les mardis, les jeudis, et les samedis ; et les Italiens, les autres jours.

La troupe de l’hôtel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, excepté lorsqu’il y avait des pièces nouvelles.

Dès lors la troupe de Molière prit le titre de la Troupe de Monsieur, qui était son protecteur. Deux ans après, en 1660, il leur accorda la salle du Palais-Royal. Le cardinal de Richelieu l’avait fait bâtir pour la représentation de Mirame, tragédie dans laquelle ce ministre avait composé plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal construite que la pièce pour laquelle elle fut bâtie, et je suis obligé de remarquer à cette occasion, que nous n’avons aujourd’hui aucun théâtre supportable : c’est une barbarie gothique que les Italiens nous reprochent avec raison. Les bonnes pièces sont en France, et les belles salles en Italie.

La troupe de Molière eut la jouissance de cette salle jusqu’à la mort de son chef. Elle fut alors accordée à ceux qui eurent le privi-